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Le mystère de la baisse du chômage

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 13 nov. 2021
  • 5 min de lecture




Comme par magie, la décrue du chômage est là. Attendue comme Godot depuis des années où l’on espérait sans espoir l’inversion des courbes, elle surprend autant qu’elle intrigue les économistes.


On avait de toute part prédit une avalanche de faillites, en suite du violent coup de frein dû à la pandémie. Ce tsunami ne s’est pas produit. Grâce à la politique du « quoiqu’il en coûte », certes, mais cela n’explique pas l’effet sur l’emploi. En effet, la reprise d’activité est forte et claire, mais l’on n’a pas dépassé le niveau d’avant crise.

Pour comprendre comment la reprise a eu un tel effet sur le niveau du travail, il faut considérer dans quel état se trouvaient les entreprises avant la crise sanitaire. Avant la covid-19, les entreprises étaient frileuses. Les carnets de commandes n’étaient pas vides, mais les dirigeants, prudents et sans marge de manœuvre financière, étiraient les délais de production et d'exécution des marchés pour, justement, ne pas se charger en un personnel dont il faudrait assumer le coût en cas de fléchissement du chiffre d’affaires.


S’endetter en ce temps-là pour supporter les périodes de vaches maigres était problématique. Les banques exigeaient des garanties, cautions et hypothèques. Bref, le pari sur l’avenir était un coup de dé susceptible de détruire une existence, car le droit commercial fait la part belle aux salariés, préférant poursuivre une activité avec trop de personnel que de sauver l'entreprise. Cette évolution remonte aux années 80. Robert Badinter a fait abolir la peine de mort, on lui en doit le respect, mais sa réforme du droit des cessations des paiements l'a généralisée pour les entreprises. Malgré les pansements que l'on a imaginés pour prévenir le pire, c'est presque toujours vers la ruine de l'entreprise, et de l'entrepreneur que menait la porte du Tribunal de commerce.


La situation a changé. Pour deux raisons. L'une psychologique, l'autre mécanique.


Les prêts garantis par l’Etat ont donné des moyens financiers à des entreprises qui n’en avaient pas. Et ceci sans faire risquer sa survie par l'entrepreneur, son état d'esprit a donc été orienté vers plus d'audace.

L’équilibre entre argent public et argent privé a changé en faveur de ce dernier. La planche à billet n’a pas alimenté la dépense publique, mais directement les caisses privées qui seules sont créatrices d’emploi. Cet effet mécanique a permis aux entreprises de disposer de marges de manœuvre.


L’effet de levier d’un euro dans l’économie privée est évident, l’argent est utilisé pour « faire des petits », et accroître l’activité de l’affaire. Ainsi un euro peut en valoir deux ou trois. Entre les mains de l’Etat, le même euro n’a pas cet objet, il va vers des dépenses de fonctionnement, de redistribution, ou au mieux d’investissement, mais dans des catégories non directement rentables.


Ainsi libérés du risque et de la pénurie de cash, les entreprises pouvaient augmenter les salaires ou embaucher. La première solution est celle de la facilité, les grandes entreprises plus administratives que productivistes la privilégient. Mais les principaux employeurs de France (les deux tiers de l’emploi) que sont les TPE-PME, très petites et moyennes entreprises, préfèrent recruter : un salarié nouveau est moins coûteux qu’une augmentation de salaire. Les charges sur les bas salaires sont faibles et celles qui pèsent sur les heures supplémentaires fortes.

L’effet redistribution des cartes a joué. Certains secteurs comme la restauration ont perdu leurs personnels recasés ailleurs. Certains n’ayant pas réouvert, beaucoup sont des créations. Ils ont donc embauché des salariés nouveaux.


La vraie question est de savoir pourquoi ce mouvement en faveur du privé s’est produit alors que l’on redécouvrait dans les médias les vertus de l’Etat protecteur.


Certes, l’Etat est plébiscité dans son rôle de bouclier contre la pandémie pour imposer la vaccination, et contre le marasme en faisant tourner la planche à billet. Mais si l’Etat est réhabilité, la haute fonction publique qui a montré ses carences quand la maladie faisait des ravages n’est pas sortie indemne de l’épreuve.


Les administratifs de l’Administration ont été étrillés et ne trouvent plus personne pour les soutenir dans leurs exigences financières. Ainsi les voix réclamant des hausses d’impôt ont été timides. Même l’exemple américain, que le microcosme parisien des médias prise tant pour ses incongruités wokistes, qui veut faire payer ses milliardaires, est sans écho en France. En effet, nos tycoons sont si peu nombreux que les taxer serait très peu rentable. Le rendement n’est atteint ici qu’en mettant à contribution la classe moyenne supérieure... celle qui vote.


On sous-estime l’importance des annonces d’Emmanuel Macron sur la suppression de l’ENA, des Grands corps, de plusieurs Inspections générales, et la remise en cause des carrières toutes tracées. Les effets de ce « coup d’Etat » ne sont pas flagrants, mais réels.


Attaqués dans leurs légitimité les rouages de l’Etat profond ont pour un temps renoncé à tirer la couverture à eux. Ils pratiquent ce qu’ils savent faire de mieux : le dos rond. Eux qui sont accoutumés à « servir » l’Etat en premier, pour mieux se servir, se sont faits discrets.

Certes Emmanuel Macron a arrosé leurs plantes grasses. Quelques milliards par-ci, quelques milliards par-là, un chèque-inflation pour bientôt, des promesses pour plus tard. Redistribuer ou colmater les brèches de mécontentement de la sphère publique, cela ne fait pas une politique. Ce ne sont au demeurant que broutilles par rapport aux 300 milliards de hausse de la dette publique du premier trimestre 2020 au premier trimestre 2021. Le plus gros de l’argent est bien allé au privé.


Les anticipations pour 2021 montrent que les réformes fiscales (baisse des impôts de production et de l’IS) comptent pour 12,5 milliards contre 3,6 pour la suppression de la taxe d’habitation.

Alors que le pays regardait ailleurs, le gouvernement d’Emmanuel Macron a réduit les impôts malgré l’ouverture des vannes d’aides publiques qui cette fois sont allées essentiellement aux entreprises et pas seulement (et c’est une nouveauté) aux grandes. Là aussi, les amitiés et complicités entre les hauts fonctionnaires et les grands patrons n’ont pas pu jouer, les premiers étant dans la crainte de se voir mis en accusation de favoriser les seconds dont beaucoup sont issus de leurs rangs.

A la différence de la crise de 2008 qui a cassé les pattes à Nicolas Sarkozy, bien qu’il l’ait remarquablement gérée, la pandémie a donné à Emmanuel Macron plus d’opportunités que de désagréments. L’efficacité de sa gestion de la vaccination a été reconnue, et les effets de sa politique économique sur le chômage sont visibles. Il n’est pas pour autan considéré comme un sauveur, car il n’échappe à personne que par l’inflation, c’est la totalité du peuple de France qui va devoir payer l’addition. L’inflation est une croissance en trompe l’œil, et l’électeur n’apprécie rien moins que ce genre de tromperie. La valse des étiquettes précède, en général, celle des ministères.


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