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Le paradoxe français, où trouver les économies introuvables





« Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne vienne à bout», disait Henri Queuille.  Celui que l’on surnommait « le petit père Queuille », né en 1884, était un homme du 19ème siècle, et fut plusieurs fois Président du Conseil sous la Quatrième République, résume assez bien le mal qui est à l’origine du paradoxe administratif français que l’on peut exprimer ainsi : Toujours plus d’impôts, toujours moins de services publics.


L’Etat semble atteint d’une soif inextinguible. Cette pépie ne l’hydrate pas mais le dessèche. Les plus avisés en économie jurent de ne pas augmenter les impôts, serments d’ivrognes, ils se rattrapent sur les taxes. Et nonobstant, la dette augmente et le Trésor public est toujours impécunieux.


Les sœurs Danaïdes sont souvent convoquées pour expliquer le paradoxe, mais la réalité est que l’Etat compte surtout sur le principe d’inaction de Queuille pour régler ses problèmes d’efficacité. Plus que les niveaux de prélèvement  et de redistribution, c’est le coût négligé de la gestion des deniers publics qui rend l’équation sans solution. Les finances de l’Ancien régime ont été plombées par ses Fermiers généraux que la Révolution a abolis et remplacés par une Administration des Finances. La République d’aujourd’hui n’a de moderne que le nom, certes elle est habile à lever les contributions, mais elle est archaïque dans son organisation. Or, dans un monde où la technologie évolue à une vitesse jamais égalée, ne rien faire de structurel est la certitude de la banqueroute.


En avoir pour son argent ? Telle est l’exigence des citoyens sur laquelle les politiques, les experts et autres journalistes  se cassent les dents. On cherche des économies, mais le service public est « à l’os ».

La solution est pourtant aussi simple que l’œuf de Christophe Colomb. Il suffisait d’y penser : la cause de ce paradoxe est la mauvaise gestion des deniers publics. Quand on parle de réforme structurelle, l’Administration propose au citoyen de se serrer la ceinture, sans jamais se remettre en cause. « La réforme administrative est à l’ordre du jour, et elle le restera », disait Jacques Chirac désabusé, à ce propos.


Bien entendu, les responsables n’autorisent pas la moindre critique. Ils sont l’élite de l’Etat, formés pour cela, et, eu égard au poids de l’Administration publique en France, ils contrôlent les dirigeants des médias et de l’économie. Dans cet univers ouaté, une main lave l’autre, et chacun s’emploie à dédouaner ceux qui sont aux responsabilités sans vouloir en assumer aucune.


Le moyen d’assurer cette irresponsabilité systémique des dirigeants est soit le silence, soit le plus souvent une phraséologie de déni des réalités.


Assourdissant, n’est-ce pas, le silence sur la responsabilité de ceux qui ont sous-estimé de 50% le déficit du budget en l’année 2024 en cours. Un trou passant de 4 à 6 % aurait justifié une explication. Qui est responsable ? Qui s’en émeut ?


Circulez, il n’y a rien à voir ! Cette méthode radicale est par trop voyante, elle est le plus souvent suppléée par un discours de novlangue politiquement correct.


Entre le « sentiment d’insécurité » qui annule l’insécurité, et la « pédagogie de la dépense publique » qui dispense de s’expliquer sur la gabegie, le vocabulaire d’évitement du réel fleurit.


Le citoyen sent monter en lui une irritation venue des profondeurs de son âme de Sans culotte.  A n’en pas douter, les gens huppés, ceux de la haute comme l’on disait jadis, le prennent pour un manant, un benêt, voire un crétin.


L’homme de la rue, qui n’est pas, tant s’en faut, un homme dans la rue, sait bien que l’Etat fournit des services qui ont un coût, il sait que le système social français est très protecteur, et cela il l’apprécie. Il est prêt à en supporter la charge. Son consentement à l’impôt et aux prélèvements obligatoires est exemplaire et le prouve.


Néanmoins, cette docilité n’est pas récompensée, car il est de plus en plus flagrant que l’Etat est géré en dépit du bon sens. On disait naguère pour expliquer les défaites que l’armée Française était, dans son armement et sa stratégie, en retard d’une guerre. Aujourd’hui, c’est une et bientôt deux révolutions technologiques de retard qu’il faut constater pour l’Administration.


La seule des réformes opérantes alliant numérisation, informatique et internet, qui ait été mise en oeuvre sérieusement, est celle du prélèvement à la source. Pour le reste, l’Administration a trente ans de retard. Elle s’y tient fermement ou ne s’y engage qu’à reculons.


Pour les combler, il lui faudrait embaucher de nouveaux personnels techniquement qualifiés et investir dans le traitement de l’information. Il faudrait aussi croiser les fichiers, mais l’on préfère pérorer sur les libertés individuelles que menacerait l’informatique. L’Etat a même créé une commission, la CNIL pour veiller à ce que lui-même ne commette aucun abus à ce sujet.


La mutation informatique qui a été réalisée par le secteur privé, et notamment bancaire, l’Etat ne peut s’y livrer. Le voudrait-il, ce qui l’en empêche porte un nom : le statut de la fonction publique.


Quand on tente de réorganiser la Poste, en en faisant une société de droit privé, c’est une vague de suicides que ses dirigeants doivent affronter et qui les conduisent devant les tribunaux répressifs.


L’Etat est un employeur singulier qui n’a pas le droit d’adapter ses salariés aux tâches à remplir, il est donc par cette seule raison promis à la banqueroute. Il y en a d’autres, mais celle-ci suffit.


Tel est le problème à résoudre qui est la clé de toutes les économies. On raisonne depuis des années en termes de nombre de fonctionnaires, en agitant des quantités pifométriques, et en avançant que l’on pourrait réussir à maitriser les coûts en ne remplaçant qu’un agent public mis à la retraite sur deux. Il est aisé pour les opposants de répondre que les services publics manquent de bras. On manque de médecins, d’infirmières, de policiers, de magistrats, d’enseignants…


Mais c’est oublier que l’hôpital, l’Education nationale  et la Justice sont sur-administrés, en ce que leur gestion est plus onéreuse ici que chez nos voisins.


Ce paradoxe de la mauvaise allocation des ressources tient à un système hérité de la Libération, et de l’ordonnance du 9 octobre 1945. Le Statut, on devrait dire les Statuts, car ils se sont multipliés, est actuellement régi par un empilement de textes dont  l’effet général est qu’un fonctionnaire recruté par concours pour répondre à des besoins du moment sera pris en charge financièrement par la collectivité publique durant soixante ans.


Durant cette période, les deux tiers avant la retraite, l’Etat devra employer l’agent qu’il ait ou non besoin de ses capacités. À technologie constante, le système peut se concevoir. Mais très précisément, nous vivons une ère nouvelle où le progrès technique de gestion des tâches administratives est foudroyant.


Le coup de grâce sera sans doute donné à l’Administration par la révolution à venir de l’IA. Impactant de plein fouet les activités administratives, elle va rendre inutiles un très grand nombre de fonctionnaires. Il est donc naturel qu’ils s’y opposent, vu qu’ils ont les moyens légaux de bloquer toute évolution, l’Etat sera le dernier bastion de la bêtise naturelle, comme il est encore celui des ronds-de-cuir.


Le règne de la classe méritocratique sélectionnée à l’ancienne, arcboutée sur ses privilèges ne pourra s’achever que dans une révolution violente. Cette noblesse du diplôme tient tous les leviers de commande, et elle dispose d’une armée de fonctionnaires qui sont et seront d’autant plus agressifs qu’ils se sentiront menacés.


Le citoyen n’accepte plus qu’on lui tonde la laine sur le dos, sans justifier d’abord  d’une gestion fidèle et diligente. Devant l’évidence que c’est le statut de la fonction publique qui induit cette mauvaise administration de ses deniers, il voudra réserver, à ceux qu’il en estimera responsables, le sort des prévaricateurs.  Dans ce mouvement, il sera emporté par sa fureur et sera souvent injuste. Mais c’est le propre de toute révolution politique.


Faute d’avoir le courage d’affronter la question sacro-sainte du Statut, notre classe dirigeante passera à la trappe… c’est-à-dire sera mise au rancart, car, fort heureusement, de nos jours la guillotine est passée de mode.


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