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Le principe de subsidiarité n'est pas subsidiaire

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 9 nov. 2021
  • 5 min de lecture


Le procès fait à la Pologne par la Commission européenne soutenue en l’espèce par Emmanuel Macron est totalement infondé, et hautement toxique.

Il est reproché par les organes de l’Union au Tribunal constitutionnel polonais d’avoir déclaré que la Constitution polonaise était supérieure à toute autre décision, loi ou règlement et même à tout traité. Un tel jugement serait, selon les eurocrates, contraire à l’état de droit et méritait une sanction.


Manifestement, les instances européennes ont perdu la tête. Ce que le Tribunal polonais a dit n’est rien d’autre que ce qui figure dans notre propre Constitution dans son article 54, sans que nul ne s'en émeuve.


Pour mémoire, le voici :

ARTICLE 54.

Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.


Ainsi le principe est clair. La règle supérieure de chaque Etat est celle de la Constitution qu’il s’est donnée. S’il existe une contrariété entre un traité et une loi, il appartient au juge de la Constitution de trancher en faveur de la Constitution.


L’Union Européenne n’a pas de Constitution, le projet en a été rejeté par les référendums français et néerlandais de 2005. Ce qui a été bâti par la suite ne constitue que des traités. Ainsi les organes de l’Union relèvent dans l’ordre juridique d’une catégorie inférieure à celle des Constitutions. Ils ne peuvent pas prétendre imposer quelque décision que ce soit aux constituants nationaux. Ils ne peuvent pas plus arguer d’une incompatibilité avec des principes de l’Union, fussent-ils essentiels pour exclure un Etat membre. En effet, si pour admettre un Etat comme membre, il est loisible de formuler des exigences quant à son respect de tel ou tel principe, cette procédure est irréversible, pour quelque motif que ce soit. Seule est prévue la décision souveraine du retrait, utilisée par le Royaume-Uni.


Les juridictions européennes peuvent appliquer les règles figurant aux traités qui les ont instituées, mais encore faut-il que ceux-ci aient été ratifiés et admis comme conformes à la Constitution de l’Etat concerné, compte tenu de l’évolution de chaque Constitution dont chaque peuple reste libre. Deviendrait-il infréquentable, un Etat membre a le droit de le rester.


En condamnant la Pologne à une astreinte d’un million d’euros par jour, pour mettre fin aux activités disciplinaires de sa Cour suprême, les juges européens se sont autorisés à décider en quoi devait consister l’état de droit, mais se sont faits juges de la Constitution d'un Etat membre.

Se comportant en juges des juges suprêmes nationaux les magistrats de la CJUE, saisi par la Commission, ont été pris d’une hubris qui les rend ivres d’un pouvoir qu’ils usurpent. Leur décision est par ailleurs critiquable, en ce qu'elle rend responsable un Etat des décisions de ses tribunaux, tout en réclamant qu'ils soient indépendants. le Roi Ubu n'aurait pas fait mieux.


De fait, il s’agit d’une intrusion des organes européens dans l’arène politique. Alors que la Commission européenne est un organe d’exécution et elle n’a pas à prendre un parti politique. Le Traité (article 17) lui donne mission de veiller à l’application des traités et du droit de l’Union, mais en aucun cas elle n’a autorité sur les législations internes. Pour qu’il en soit ainsi il faudrait qu’elle ait compétence quant au droit « dans l’Union ». Or sa mission ne concerne que les règles spécifiquement européennes. Pour le reste s'applique le principe de subsidiarité.


Le Traité relatif à l'Union européenne, actuellement en vigueur, consacre le principe de subsidiarité.


C'est sous la pression des Länder allemands que ce principe a été inscrit au Traité. Dans le cadre des compétences concurrentes entre l'Union européenne et les États membres, l'Union européenne est compétente lorsqu'il est incontestable que l'action de la Communauté apparaît comme plus efficace qu'une action menée par une instance plus locale. Il s'agit alors de définir sur quels critères on déclarera quelque chose d'incontestable.


Ce principe de subsidiarité se trouve désormais au paragraphe 3 de l'article 5 du Traité sur l'Union européenne : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ».


Or, la justice fait partie des domaines de compétence partagée ainsi que le précise l’article 4 du Traité qui vise : « L’espace de liberté, sécurité et justice » (art 4, 2, j).


En aucun cas, le traité ne prévoit que l’Union puisse contraindre les Etats en matière de compétence partagée pour laquelle doit s’appliquer le principe de subsidiarité. En agissant comme elles le font, la Commission et la Cour de justice violent le principe de subsidiarité, et le Traité qui les institue.


Certes, les organes de l’Union peuvent et doivent défendre les grands principes, mais seulement dans leur domaine de compétence exclusive.


Il est clair que, dans l’affaire polonaise, l’on se trouve en présence d’un affrontement politique dont l’Union risque de sortir affaiblie. Ce que le Brexit a échoué à faire, grâce à l’action et au talent de Michel Barnier, qui a maintenu la cohésion face aux coups de boutoirs britanniques, les technocrates européens pourraient bien l’obtenir, à force d’usurpation de pouvoirs et ce qui est pire de maladresse.


Maladresse, car le plus misérable des arguments, en matière politique est de mettre en balance la dignité d’un peuple avec des sanctions financières. L’échec constant de cette pratique venue des Etats-Unis devrait suffire à convaincre nos dirigeants. On peut ne pas être d’accord avec le Gouvernement polonais, ou hongrois, et ne pas partager leurs vues sur bien des sujets, mais la Pologne et la Hongrie sont membres de l'Union.


Au demeurant leurs gouvernements ont été démocratiquement élus. Certes, le peuple peut se tromper, mais tant qu’il reste libre de changer de dirigeants, c’est à dire qu’il reste libre, il est souverain, et il faut une certaine insolence pour se croire autorisé à se substituer à lui.


Il est aussi dangereux de trainer les pieds, comme le fait ostensiblement la Commission, pour débloquer les concours financiers décidés à l’occasion de la pandémie. On voudrait transformer l’adhésion populaire à l’Union du peuple polonaise en désir de Polexit, l’on ne s’y prendrait pas autrement. Cette stratégie, car c'en est une, est celle qui court dans les esprits qui prônent une Europe resserrée pour « mieux avancer », tel Laurent Fabius. C'est là une inconséquence, car c’est faire l’impasse sur le risque d’une rupture avec l’Allemagne qui hésite toujours entre l’est et l’ouest, là où elle fait de l’argent, là où elle le dépense. Mais aussi, c’est oublier que l’euro est la monnaie polonaise et qu’il est impossible de prévoir ce qui pourrait se passer pour notre devise en cas de divorce inamical avec la Pologne, éventuellement suivie par d’autres pays de l’est. Cette question ne s'était pas posée lors du Brexit.

Quand on est sincèrement favorable à la construction européenne, on est prêt de perdre patience au spectacle qu’offrent ses institutions qui loin de conforter l’Europe en sapent les fondements qui ne reposent pas sur une uniformisation contrainte, mais sur une adhésion. Et à ces moralistes compassés qui s'érigent en dépositaires de l'état de droit, il faut rappeler que dans la construction européenne, le principe de subsidiarité n'est pas subsidiaire, il est essentiel.



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