Le retour du politique passe par la cohabitation
- André Touboul
- 16 mars 2022
- 6 min de lecture

L’élection présidentielle de 2022 se présente comme un hold-up circonstanciel réalisé par un sortant doté d’un charisme pour le moins modéré. Son programme fait penser à celui du Concombre masqué, c'est à dire qu'il brille par sa vacuité. Il se contente, en outre, d‘invoquer l’union (autour de lui) et la bienveillance, les mantras de ceux qui justement divisent et méprisent.
Au nombre des malheurs de la France, il faut désormais ajouter le malaise démocratique d'un le procès en illégitimité du futur Président. Il est déjà instruit pour cause d'absence de débat de fond, mais risque de s'amplifier en cas d'abstention record, à laquelle il faut s'attendre, si le second tour de 2022 est une réédition de celui de 2017.
Avant que le match ne soit plié par la guerre en Ukraine, dont l'inquiétude qu'elle suscite écrase toute autre considération, on ne comptait plus les voix de ceux qui se désespéraient d’espérer voir renaître la vie démocratique par la grâce d’un dirigeant providentiel. Prenant la tête de l’Etat, ce démiurge sortirait la France du marasme, remettrait, si l’on peut dire, l’église au centre du village, et redonnerait au pays sa splendeur d’antan. Etant entendu que le rôle ne pouvait être tenu par Emmanuel Macron, on invoquait les mannes de De Gaulle, jusque dans les rangs de ses adversaires les plus irréductibles, qui en l'occurrence ne reculaient devant aucun reniement, ni ridicule. Sans vergogne, l'on s'arrachait par lambeaux la relique du grand homme, soudain paré de toutes les vertus.
Cette attente messianique ne pouvait qu’être déçue. Non que les candidats à cette mission eussent fait défaut, les vocations de sauveurs fleurissaient autant que jamais. C'était plutôt l'envergure qui leur manquait, et le régime ne se prête guère à la médiocrité. La Cinquième République est une monarchie à durée déterminée, conçue pour la rencontre d'une personnalité avec le peuple, mais, paradoxalement, plus les pouvoirs du Président augmentent, moins la stature de ceux-ci ne grandit.
En toute hypothèse le pouvoir n’est pas aujourd'hui à ramasser dans le caniveau ; il est exercé d’une main ferme par une classe de gestionnaires de l’Etat. Ce qui fait problème est que ces régisseurs qui mènent la République vers plus d’étatisme et de centralisation, toujours dans le sens de leur propre intérêt, sont parvenus au bout de leur logique bureaucratique, irresponsable et inefficace.
Dès avant 2017, les détenteurs du pouvoir politique étaient, de facto, les technocrates. S’il devait arriver qu'ils soient mis au pas par un nouveau De Gaulle, homme fort jouant le rôle de libérateur intérieur, cela ne serait pas l'occasion d'un retour à une respiration démocratique, mais le remplacement d'une bureaucrature molle par une autocratie. Au demeurant celle-ci serait contrainte de s'appuyer sur la même technostructure, et de ce scénario le citoyen resterait exclu.
Dans les situations difficiles, le peuple est tenté de se tourner vers une solution autoritaire qui ne fait que le déposséder plus encore de son maigre pouvoir. Cette démission ne donne que rarement les résultats espérés, et produit même parfois des catastrophes.
De fait, s’il l’on veut remettre le citoyen au milieu de la République, ce n’est pas Jeanne la bonne lorraine qu’il faut convoquer, la haute Administration n’est pas une occupation étrangère qu’il faudrait bouter hors. C’est simplement la primauté du politique qu’il faut restaurer. Mais cette simplicité n'est pas si simple.
Pour remédier au malaise qui frappe l'exercice de la politique, les fausses voies ne manquent pas.
On ne le fera pas par les ersatz de démocratie que l’on baptise « démocratie directe » qui, sous différentes formes, singent la consultation des citoyens, mais n’en tiennent aucun compte. La politique ne peut être restaurée par ces moyens purement cosmétiques. Le "débat permanent", proposé par Emmanuel Macron comme substitut à celui qui devrait avoir lieu avant le vote, relève de ce genre de simulacres.
Ce n’est pas non plus le recours systématique au référendum qui, pour avoir un sens de ponctuation sociale sur certains sujets simples à trancher par oui ou non, n’est pas applicable à la complexité de gestion d’un Etat moderne.
Le vrai retour de la politique dans la République serait celui de la restitution du pouvoir effectif de décision au citoyen libre et éclairé. C’est à dire s’exprimant dans les urnes, sans contrainte et après un débat véritable.
A cet égard, l’illusion de la proportionnelle ne peut qu'être écartée. Au motif que la représentation nationale doit ressembler au peuple de nombreuses voix disent et répètent qu’il faudrait réintroduire la proportionnelle, ou une certaine dose, dans les élections à l’Assemblée Nationale. C’est un leurre. On le sait, la proportionnelle est la garantie de confier le choix de gouvernements, par nature éphémères, à des partis charnières qui ne représentent en rien la volonté ou l’intérêt général. En fait, si l’on veut que chaque partie de la société puisse s’exprimer, c’est au niveau du Sénat qu’il faut s’attacher. La Chambre haute, comme l’on disait jadis, est déjà le lieu d’expression de la modération des excès majoritaires de l’Assemblée Nationale. Sans doute faudrait-il aller plus loin et accorder au Sénat plus diversifié dans sa composition, un droit de véto sur certains sujets.
Le point le plus important est de voir que la renaissance du politique ne peut avoir lieu que par celle des idées.
Le retour de l’idéologie ne se commande pas. Encore faut-il qu’il en existe une ou plusieurs en concurrence. On prétend que dire Gauche ou Droite n’est pas pertinent à une époque où les fronts s’inversent comme les pôles magnétiques, et où les lignes de séparation passent à travers les partis et mouvances traditionnels. C’est d’ailleurs ces derniers déplacements des failles qui ont fait exploser les vieux partis.
En vérité, cette présentation de "fin de la politique", comme certains ont annoncé la "fin de l'histoire", est une grande habileté (voire une escroquerie) de ceux qui se sont emparés du pouvoir effectif au détriment de la représentation démocratique, c’est à dire du citoyen. En effet, dans la vie d’une nation, tous les chemins ne mènent pas à Rome, il existe des choix réels, des bifurcations existentielles, des décisions courageuses à rendre, du collectif ou de l'individuel... De tout ceci qui exige des choix difficiles, les bureaucrates dont le crédo pourrait être « pas de vagues », ont une sainte horreur.
Emmanuel Macron a accompli peu de choses concrètes durant son premier mandat. Il a néanmoins été très clair sur un point. Il a désigné les vrais responsables du grand déclassement de la France. Il l’a fait en détruisant leur nid, l’ENA, et en supprimant les canaux d’exercice du pouvoir que sont les Grands Corps de l’Etat. Il n’a pas été le premier Président à tenter de limiter le pouvoir et les privilèges des hauts fonctionnaires, mais son action a été majeure, car ouverte et frontale. Bien entendu, les intéressés ne s’en émeuvent que modérément. Ils s’organiseront pour contourner les obstacles, grâce à leur implantation dans tous les rouages de l’Etat. Ce dernier est si prédominant et omniprésent qu’ils maîtrisent la situation. Ils n’ont pas besoin de chef, ni de se concerter, il leur suffit de suivre leurs intérêts individuels qui vont tous dans le même sens. Les crises ont encore accru leur importance décisive. Certes, elles ont montré leurs carences, mais aussi elles les ont rendus encore plus indispensables. Les gestionnaires des « quoi qu’il en coûte », ce sont eux. Le premier quinquennat Macron aura en outre montré que rien ne se fait sans leur accord, quoiqu'il en dise. Ils allient donc la forcée d’inertie à celle de l’intendance.
La campagne présidentielle de 2022 ne fera rien pour restaurer le citoyen dans ses prérogatives. Sans libre choix ni décision éclairée de par la guerre qui sévit et surtout celle qui menace, l’issue de l'élection échappe à la raison démocratique. Il faut cependant ne pas oublier que l'élection à venir est une partie qui se joue en quatre manches. Deux pour la présidence, deux pour l'Assemblée Nationale. L'argument selon lequel l'électeur confirme lors des législatives le verdict des présidentielles peut, cette fois être défaillant. En effet, pour vouloir donner au Président les moyens de sa politique, encore faut-il que celle-ci ait réellement été choisie.
On verra si lors des législatives, le citoyen entendra reprendre la main. Tout l’y invite. Aussi bien le désir de s’exprimer sur les questions sociales et sociétales, que le bon sens. En effet, redonner une majorité à Emmanuel Macron serait lui signer un chèque en blanc, alors que, jamais, il n’aura été plus solitaire et imprévisible dans l’exercice du pouvoir. Ce serait alors prendre le risque d’un bouleversement institutionnel qui se ferait dans la violence.
Les mois et années à venir seront difficiles pour les Français, les affronter sans révolte exigera une adhésion populaire qui n’existe pas par une reconduction pure et simple. L’intérêt personnel d’Emmanuel Macron, comme celui de la France, serait que le pouvoir soit partagé entre le Président et le Parlement pour leurs prochains mandats respectifs. Ce serait un retour de la cohabitation, et, par là, celui de la primauté de la représentation nationale. En l’état de la conjoncture socio-économique, il n’y a pas d’autre manière pour le citoyen de faire revivre la politique, ce noble art qu'une technocratie qui ne sait toujours pas qu'elle est l’art du choix et non celui du « en même temps ».
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