Le rédhibitoire
- André Touboul
- 12 déc. 2021
- 5 min de lecture

Encore Zemmour ! Alors que certains s’attendait à voir s’affaisser une baudruche sous l’avalanche des condamnations morales de la classe médiatique, Zemmour n’a pas encore fait « tchoufa » comme l’on disait en pataouète du temps de l’Algérie française. Il résiste. Bien plus, il reste central dans le débat de la campagne présidentielle alors que tout devrait tourner autour du Président sortant qui, étant aux affaires, devrait monopoliser l’attention. De fait, Emmanuel Macron a beau multiplier les déplacements façon téléthon, promesses de dons à l’appui, et tenter de se donner une dimension européenne, il ne parvient pas à lui ravir la vedette. Il faut dire que le « quoiqu’il en coûte » n’impressionne plus personne. L’argent facile n’a plus rien de magique. Quant à l’Europe, elle n’intéresse guère les Français, ils la considèrent comme un mal nécessaire, mais lointaine et surtout source de contraintes. Trop longtemps nos dirigeants se sont abrités derrière Bruxelles pour justifier leurs impuissances et les absurdités d’une bureaucratie pourtant si typiquement française.
De plus, et même s’il ne le fait qu’en répondant aux journalistes, le Président succombe à l’erreur de répondre à Zemmour, entrant ainsi dans son jeu. Avec lui, les candidats de droite ont dû intégrer le phénomène Z dans leurs discours. Les LR se sont situés par rapport à Zemmour, et le RN ne cesse de lui faire des appels du pied.
Seule la gauche frappée de poly-nombrilisme semble occupée ailleurs. Il faut dire que la gauche française est en ce siècle un avocat sans cause. Elle cherche à racoler des clients en promettant une défense hargneuse voire de mauvaise foi. Elle ne se consacre pas aux causes perdues, ce qui serait honorable, elle enfourche des causes imaginaires, devenant un archipel de prolétaires de l’intelligence.
Elle est trop affairée à cette besogne pour tenir un discours crédible. Pour ce faire il faudrait revenir sur des décennies de déni du réel. Ses médias donneurs de leçons préfèrent se réfugier dans une logorrhée moralisatrice qui, de fait, sert la soupe à Zemmour, leur diablotin du moment. Ils le font notamment en le qualifiant de fasciste et de raciste, lui attribuant un discours haineux, alors que la haine est plus palpable dans leurs propos que dans les siens.
Ils se fourvoient aussi en l’assimilant à Jean-Marie Le Pen qui était, lui, un raciste viscéral; alors que loin d’être raciste, Zemmour dénonce une situation, certes dramatisée, mais réelle. « Le Roi est nu » dit Zemmour et soudain cette réalité devient incontournable. Cette évidence était déjà perçue par la population, elle a aujourd’hui atteint la Cour médiatique pourtant accoutumée à regarder ailleurs.
La gauche veut cependant d’autant moins ouvrir les yeux que les solutions qui s'offrent à elle la terrifient. En effet, la société française est dans une conjoncture où les principes moraux de morale universelle sont des obstacles, sinon à sa survie, en tout cas à sa paix sociale.
Certes, il est possible de tenter de convaincre les Français qu’ils doivent renoncer à la société qui les a vu naître. Cela serait envisageable, si la France de demain était une promesse radieuse. Or ce qui se profile est une déconstruction sans avenir autre que l’insécurité généralisée. Pour vivre ensemble, il faut que tous le veuillent et cela exclut les séparatistes. Qu’on le veuille ou non, la question de la compatibilité des cultures se pose. Elle ne peut être éludée.
Il est impossible de promouvoir sans discernement l’Etat de droit (et ses principes humanistes) quand prolifèrent les territoires de non-droit. C’est prêcher la non violence quand la guerre est déclarée et l’ennemi entré dans les murs.
Le monde politique regarde Zemmour fasciné comme un oiseau par un serpent. Tous se pressent pour débattre avec lui, tout en fustigeant son discours vénéneux. Cette incohérence est fatale. Quand on lui oppose ses écrits antérieurs, le fin débatteur esquive en observant que là n’est pas le sujet de l’élection présidentielle. Quant à la réécriture de l’histoire, on doit reconnaître qu’il n’aura été ni le premier ni le dernier à tomber dans ce travers. Le candidat Macron lui-même n’avait-il pas dérapé en 2016 qualifiant à Alger la colonisation de crime contre l’humanité ?
La faiblesse de Zemmour est qu’il noircit tellement le trait qu’il ne lui reste à proposer que la « reconquista », c’est à dire un retour au Moyen Âge, et, de fait, à la guerre de religion. Or, si la situation décrite par Zemmour est désespérée, elle n’est pas sérieuse au point d’en venir là. Pour peu que les Français cessent de battre leur coulpe en se vautrant dans la repentance, et renouent avec la fierté d’être ce qu’ils ont été et ce qu’ils sont, les menées islamiques perdront l’essentiel de leur écho. De fait, le problème majeur qui se pose au pays n’est pas dans la religion musulmane, mais réside dans l’absence de volonté des politiques pour lui assigner avec discernement des limites compatibles avec la République et avec la France historique où elle est minoritaire.
Pour endosser les habits de Président de la République française, Eric Zemmour souffre en outre de deux handicaps rédhibitoires. Le premier est son inexpertise en matière économique. Le second est qu’il est un homme seul.
Il n’est pas nécessaire ici d’argumenter longuement pour monter que les Français ne sont pas prêts à confier les rênes du pouvoir à un néophyte. Marine Le Pen a expérimenté en 2017 l’effet dévastateur qu’une inquiétude en ce domaine avait sur les électeurs. Certes Zemmour ne s’est pas effondré face à Bruno Le Maire qui aurait dû le ridiculiser, mais il ne l’a fait que par son art de l’esquive. Cela ne l’a pas rendu compétant pour autant.
Le problème posé par la solitude du candidat mérite plus de précision. Il est vrai que la Constitution de 1958 amendée en 1962 est construite sur le principe de la rencontre d’un individu et d’un peuple par la magie du suffrage universel. Cependant, si le trône républicain se conquiert par cette alchimie, il en va autrement de l’exercice du mandat. Le quinquennat d’Emmanuel Macron montre que la solitude jupitérienne ou non conduit à l’échec. En conflit avec l’élite d’Etat, administrative et judiciaire, le Président n’a pu compter sur aucun relai. Son prédécesseur, François Hollande a été paralysé par les Frondeurs. Sans l’appui d’un parti politique solidement enraciné dans le pays, capable de convaincre les corps intermédiaires du bien fondé de sa politique, le Président de la cinquième République est un Gulliver entravé. Le nouveau monde des réseaux sociaux est trop peu structuré pour permettre de gouverner sans relais politique. Les Français ont eu l'imprudence d'élire un homme seul en la personne d'Emmanuel Macron, il est douteux qu'ils réitèrent cette erreur.
*
Comments