Le rêve français, une chaumière et un cœur
- André Touboul
- 1 janv. 2024
- 4 min de lecture

Crise de l’immobilier. Les Français redécouvrent la pénurie. Il fut un temps, pas si ancien où il fallait des mois pour obtenir une ligne téléphonique ; aujourd’hui, il suffit d’acheter un cellulaire au coin de la rue, et plus personne, ou presque, n’utilise de ligne fixe.
Ce miracle n’en est pas un. C’est le résultat d’une liberté économique créatrice forcenée, la première depuis toutes les grandes révolutions technologiques qui ne s’est pas accompagnée de bouleversements sociaux majeurs.
La responsabilité en incombe à la théorie économique dominante que certains appellent néolibérale, mais qui se caractérise plus précisément par le fait qu’elle privilégie la finance sur l’économie réelle.
Les vertus de la liberté financière ont eu pour limite des crises majeures qui, étant considérées comme naturelles par les économistes, n’ont pas conduit à un retour de la régulation, tout au moins aux Etats-Unis, pays qui donne le la en la matière.
La logique financière a favorisé les startups où les gains pouvaient être mirifiques, mais a conduit à la désindustrialisation. Les marges de l’industrie étant très faibles, il est plus rentable de faire fabriquer ailleurs. Les conséquences sociales, et à terme géopolitiques, sont, dans cette optique, considérées comme négligeables.
C’est cette théorie, encore en vigueur, qui a permis l’essor de la Chine devenue l’atelier de l’Amérique et de l’Europe.
Les conséquences, les Français les ont constatées à l’évidence depuis la pandémie Covid, certains médicaments basiques venant à manquer.
Evidement, les politiques ont commencé aux USA à parler de découplage avec la Chine, les tensions qui en ont résulté sont loin d’être résorbées.
En France, Emmanuel Macron a agité l’étendard de la réindustrialisation, et l’on avance l’argument de la souveraineté stratégique pour contraindre les laboratoires pharmaceutiques à produire des molécules non rentables.
Tout ceci n’atteint pas le cœur de la théorie qui donne le Final Cut à la finance.
C’est au nom de la logique financière qu’Emmanuel Macron a remplacé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), par l’IFI , impôt sur la fortune immobilière.
La raison de l’exclusion de l’immobilier du champ de la liberté économique, le Président n’en a pas fait mystère. Selon la théorie économique néolibérale version financière dont on a parlé plus haut, ce qui doit être proscrit ce sont les rentes ; étant établi comme axiome que l’argent vivifiant par nature tout ce qu’il touche, la finance est exclue de la condamnation des rentes de situations.
C’est ainsi que l’immobilier s’est trouvé être l’exemple type de l’ennemi de la performance économique. Sa détention permettant des plus-values sans rien faire, et de s’enrichir en dormant. Même François Mitterrand s’est emparé de cette formule, que lui appliquait au capital financier.
C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a justifié le maintien d’un impôt sur la fortune immobilière.
La multiplication des contraintes sur l’immobilier existant, jointe à la difficulté d’obtention des autorisations de construire a montré à quel point ce secteur productif était à la fois déconsidéré et traité comme une vache-à-lait.
La crise des subprimes a révélé la déconnection de la finance avec l’immobilier en Amérique.
En France, on en est venu aujourd’hui à une véritable crise du logement. De formation technocratique et financière, Emmanuel Macron, n’a jamais été en connection avec la France profonde. Il n’a jamais su flatter la « douce France ». Le rêve français d’une épargne dans la pierre, avec une résidence de province, secondaire ou pour les vieux jours, il ne l’a jamais compris. Il faut dire que la théorie « néolib » financière, dont il est nourri, considère l’immobilier comme un bien consommable et non un but de vie. Bien pis, l’attachement à l’immobilier est vu comme un frein à la mobilité géographique, plus que comme un élément culturel.
L’argent privé ne va plus dans des investissements locatifs, et il est pénalisé quand il s’agit d’acquérir son logement. On invoque le coût du crédit, mais c’est loin d’être la seule cause car dans les années 70 on empruntait à des taux de 14% pour acheter un logement.
Malgré la hausse des taux bancaires actuels, ils restent très inférieurs à l’inflation. Ce qui fait en réalité obstacle à l’accession à la propriété est l’absence de perspective de plus-value. Tant les banques que les particuliers sont en conséquence réticents à investir.
Cette défiance envers l’avenir est la conséquence d’un discours qui méconnaît le rêve français.
Plus que jamais se vérifie la saillie qui prétend que si l’on confiait à un inspecteur des Finances la gestion du Sahara, on en viendrait très vite à manquer de sable.
La richesse majeure de la France est son immobilier, favorisé par une situation géographique, un climat et une histoire exceptionnels. Sans doute plus encore que leur identité nationale, le patrimoine public et privé qui va des châteaux aux maisons de campagnes en passant par les appartements de ville est cher au cœur des Français.
La politique de la France ne se fait pas à la corbeille, disait Charles De Gaulle, les prouesses de la bourse laissent les Français indifférents. La manière dont le pouvoir fait fi de leur projet principal de vie les agace.
On parle beaucoup du pouvoir d’achat, c’est réduire les Français à des consommateurs dont le rêve serait de consommer plus. C’est oublier que s’il faut manger pour vivre, on ne peut vivre que pour manger, il faut, pour que la vie soit supportable, se projeter dans un avenir désirable.
S’il veut se réconcilier avec les Français Emmanuel Macron devrait consulter l’INSEE qui lui apprendra que « début 2021, 17,6 millions de ménages français étaient propriétaires de leur résidence principale. Ils représentaient 57,7 % des ménages, une part en progression quasi continue depuis 1985 (+ 5,7 points). Parmi eux, 35 % doivaient encore rembourser les prêts immobiliers contractés pour l'achat de leur résidence principale ».
A bon entendeur !
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