Le serpent de mer et la galette des retraités
- André Touboul
- 11 févr. 2023
- 7 min de lecture

Comme le monstre du Loch Ness, la solution miracle de la retraite par capitalisation, réapparaît dans les médias.
La France vit, depuis que De Gaulle a fait ce choix, à la Libération, sous le régime de la répartition. Les retraités reçoivent ce que les travailleurs cotisent. La solution était nécessaire car la capitalisation aurait consisté à épargner pendant une génération durant laquelle les retraités n’auraient rien perçu.
Certes, il aurait été concevable de prévoir une certaine dose d’épargne complémentaire à côté de la répartition pour arrondir les pensions au-delà de la première génération. Ce mécanisme a toujours été un tabou, car, assis sur la logique des Fonds de pensions, il fait confiance au système capitaliste de marché. Or, en France, où le mot libéralisme est une grossièreté, l’Etat a toujours raison et le Marché le plus souvent tort.
L’Etat est le siège de la continuité et de l’intérêt public, le Marché est le lieu des bulles spéculatives et des intérêts privés. Telle est l’idéologie correcte, la doxa implicite mais puissante de la vie publique. A titre individuel les Français, en plébiscitant l’assurance vie, ont adopté sans réserve, pour ceux qui en avalent la faculté financière, le principe de la capitalisation.
Une autre affaire serait de transformer le régime obligatoire de répartition en une capitalisation généralisée, ou partielle. En effet, pour amorcer le système, cette opération ne pourrait se faire qu’en augmentant les cotisations ou en diminuant les pensions.
Indépendamment de ce problème de transition et des obstacles idéologiques, ce serpent de mer n’a, dans la situation dans laquelle se trouve la France, aucune pertinence.
Sur le plan individuel, il est indubitable que placer l’épargne est plus rentable à terme que de dépenser intégralement son revenu.
Dans le système de la répartition, la totalité des cotisations est reversée aux retraités. Quand la démographie économique (cotisants versus pensionnés) est stable, les comptes s’équilibrent. Les prestations ont alors le caractère d’un salaire différé. En régime de croisière, chacun reçoit à proportion de ce qu’il a cotisé. Cette proportion dépend du rapport démographique entre actifs et retraités. Bien entendu, plusieurs biais interviennent. La durée de perception des prestations, par exemple, dépend de l’âge de départ et de l’espérance de vie. La situation économique, elle aussi, influe sur le niveau des pensions. De même les gains de productivité font varier le rapport numérique entre cotisants et pensionnés.
Dans le régime de capitalisation, les sommes versées par les cotisants sont placées en Bourse. Elles sont censées fructifier. Ainsi comme la fourmi qui ne consomme pas tout, et en profite lorsque la bise de la vie est venue, le retraité perçoit plus que ses cotisations, car il profite aussi du rendement du capital. On a beaucoup objecté que le capitaliste perd parfois sa mise, les fonds de pension sombrent parfois et avec eux les espoirs de retraite heureuse. Mais, répliquent les tenants du système, globalement et sur le long terme, les retraités sont bénéficiaires. Ce qui est une évidence mathématique puisqu’aux cotisations s’ajoutent les bénéfices des entreprises qui se constatent en Bourse.
Si au lieu de raisonner au niveau individuel, ou d’une profession ou d’un régime particulier, on regarde la question au plan national, l’on doit se rendre à l’évidence. Il est impossible de consommer plus que ce que l’on produit. Les richesses sont à répartir entre les actifs, les retraités, et autres bénéficiaires d’allocations.
La France consacre 15 % de son PIB aux dépenses de pensions. Dans L’UE seules l’Italie et la Grèce font plus. La moyenne tourne autour de 13 %. Si les prestations sont augmentées par le jeu de la capitalisation ou tout autre procédé les retraités bénéficieront d’une part plus importante de la richesse nationale produite, exactement du montant de l’augmentation, ni plus ni moins. Et mécaniquement les actifs disposeront de moins.
A un moment donné, si l’on n’augmente pas la taille du gâteau, servir de plus grosses parts aux uns implique qu’il y en ait moins pour les autres convives.
Le débat porte plutôt aujourd’hui sur la manière de diminuer la part d’une génération d’ayants-droits trop nombreuse par rapport aux cotisants de manière à sauver le système. La machine est d’ailleurs en route. Les retraités ne sont pas des rois, leur galette n'est pas sacrée, elle est rognée par l'inflation.
Mais si l'on parle de justice, il ne serait pas absurde de comparer les montants qu'ils ont eux-mêmes cotisés aux pensions qui leur sont versées. Certes, ils sont nombreux aujourd'hui à se presser au guichet des prestations, mais ils l'ont été tout autant à verser des cotisations qui ont profité à la génération précédente qui elle n'était pas encore entrée dans le système.
Que le régime de la capitalisation soit partiel, généralisé ou pas, il ne s’agit en définitive que d’un mode de partage du Produit Intérieur Brut.
Certes, la capitalisation favorise le financement des entreprises, comme toute épargne forcée ou non. En cela, elle est vertueuse, car elle contribue à augmenter la richesse globale, mais c’est là un arbitrage entre consommation et épargne, qui peut s’opérer à d’autres occasions. En soi, cela ne contribue pas à réduire le hiatus entre le nombre des actifs et celui des retraités. On peut l'envisager en période faste d'excédent des cotisations, mais la situation présente est exactement inverse. Il faut faire face à un déficit, structurel de l'ordre de trente milliards pour la fonction publique et de quinze milliards à court terme pour le privé. Ces chiffres paraissent modestes, mais sur sept ans cela est comparable au montant du PIB de la France qui avoisine les 3.000 milliards.
La seule manière d’augmenter la part des retraités français, sans diminuer celle des actifs du fait de la capitalisation serait que le surplus de revenu provienne de l’extérieur, c’est-à-dire que les cotisations s’investissent en actions étrangères. C’est à dire que l’on fasse appel à des actifs qui travaillent à l’étranger.
C’est ce que font les fonds de pensions américains, qui font travailler les pays étrangers où ils placent leurs capitaux. Cette pratique est cependant défavorable à l’économie nationale, car elle la prive de financements, et creuse le déficit commercial. Elle favorise l’emploi à l’étranger au détriment de l’emploi national. De plus, elle induit des comportements hautement critiquables dans la gouvernance des entreprises qui privilégient le rendement immédiat et apparent au détriment de la gestion à long terme. Le capitalisme financier mondialisé produit déjà suffisamment ces comportements toxiques.
Il existe, en France, quelques régimes de retraite exemplaires et excédentaires, c’est notamment celui des avocats. Il s’agit d’un système autonome et non spécial, c’est-à-dire qu’il ne coûte rien à l’Etat.
Les affiliés y ont droit à une retraite de base à taux plein à l’âge de 65 ans, ou à 67 ans, s’ils sont nés après 1952. Il s’y ajoute une complémentaire, moyennant des cotisations additionnelles proportionnelles aux revenus.
Mais cela n’aurait pas suffi à assurer un excédent ou même un équilibre. Il a été en outre permis aux retraités qui perçoivent les prestations de continuer à travailler en cotisant (cotisation de base et complémentaire), sans acquérir plus de droits.
On dira que la profession d’avocat n’est pas pénible, et qu’il n’y a aucun inconvénient à la pratiquer jusqu’à son lit de mort. On dira aussi que c’est un sacerdoce, une vocation, pour ne pas dire un vice. C’est ne voir que les grandeurs et méconnaître les servitudes d’un métier qui est de plus un plus un service comme un autre. Le modèle anglo-saxon du Lawyer, en a fait un marchant d’heures de travail. Dans les grandes firmes de commerçants du droit, la retraite se prend très tôt, surtout chez dirigeants. Bien entendu, on n’entendra jamais un avocat se plaindre de travailler plus longtemps, tant la chance d’avoir des causes à défendre aura toujours été son souci majeur. Néanmoins, il existe aussi des avocats usés.
La solution est, comme le prouvent les avocats, dans l’allongement de la durée de cotisation et dans le recul de l’âge de la retraite. Ces deux éléments assurant à la fois une augmentation des cotisations, mais aussi une diminution du nombre de retraités, donc de pensions à verser.
La spécificité des avocats à l’égard de leur vie professionnelle est qu’elle leur permet d’organiser une fin de carrière en sifflet. C’est là le grand défi des années à venir. Les entreprises et l’Etat employeur devront apprendre à utiliser les compétences et l’expérience, au lieu de s’en défausser sur des prestations sociales détournées de leur objet, comme, par exemple, la mise en pré-retraite.
Il y faut une révolution culturelle, celle qui considère le travailleur comme une ressource et non seulement un coût.
L’aménagement des temps de travail, de la nature du travail, et aussi des rémunérations est un chantier gigantesque, tant dans le privé que dans le public.
Les réflexions dans notre pays à cet égard sont quasi-nulles. Elles sont empêchées par des motifs idéologiques. La gauche préfère s’arc-bouter sur la théorie de l’exploitation capitaliste des travailleurs, sur le mythe du partage du temps de travail, et sur la diminution tendancielle du temps de labeur, tandis que la droite se contente de la glorification de l’utilité sociale et individuelle du travail sans songer à son évolution au cours d’une même carrière. L’économie moderne, où l’on change d’emploi, de poste ou même de métier plusieurs fois dans sa vie, devrait favoriser cette adaptation.
Il serait temps, aussi, de s’inspirer de ce qui marche ailleurs, comme le prêche avec persévérance Xavier Fontanet. Hélas, on attache ici trop de prix à l’exception française, pour y condescendre. Pour obliger les entreprises à conserver les séniors, le réflexe des autistes qui nous gouvernent a d’abord été d’introduire une taxe nouvelle, et une interdiction de plus. Gageons que cela ne fonctionnera pas. La gestion statistique de la question par un indice est aussi un leurre, tant les situations sont diverses, et méritent mieux qu’un traitement bureaucratique.
On e peut compter sur les énarques pour pondre de l’originalité en la matière. Mais gageons qu’Emmanuel Macron ne fera pas appel au cabinet McKinsey pour suppléer à la carence de son Administration.
Les exemples étrangers le prouvent, le recul de l’âge de départ augmente l’emploi des séniors. Mais cet effet contre-intuitif a du mal à convaincre. Ajoutons enfin que l’on pourrait envisager une mesure simple qui consiste à rendre le temps partiel, dont le recours est actuellement très limité, accessible de droit aux séniors, cela obligerait les employeurs à faire preuve d’imagination.
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