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Le spectre du Commandeur

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 5 janv. 2022
  • 3 min de lecture



L’incident de l’Arc de Triomphe que beaucoup de commentateurs estiment démesuré n’est pourtant pas une anecdote. Le fait est patent. Sans doute chloroformé par une petite coterie de têtes d’œuf qui restent resserrés autour de lui, Emmanuel Macron est à ce point hors sol qu’il ne perçoit pas que l’Europe est vécue par les Français comme un mal nécessaire, et en aucun cas comme un patriotisme. Ils n’attendent pas de lui des marques d’européisme, mais des preuves d’amour de la France. Les oppositions se sont fourvoyées en parlant de symboles et pas suffisamment du fond. Ce que signifiait l’image du drapeau étoilé était un choix politique entre une Europe fédérale et celle des nations souveraines. On aurait voulu que le débat soit à cette hauteur. Malgré la faiblesse de ses adversaires, l’Elysée a mesuré l’impact négatif dans l’opinion et fait marche arrière.


Après ce pas de clerc, au demeurant non assumé, le Président aura cependant bien du mal à se défaire de l’habit de technocrate prêt à sacrifier à l’Europe les intérêts de la France. Ce personnage ne serait d’ailleurs qu’une confirmation de la tendance des fonctionnaires français qui, dans les institutions européennes, ont toujours mis un point d’honneur à faire oublier qu’ils étaient français, alors que les Britanniques savaient à l’inverse toujours rappeler qu’ils étaient là pour défendre leurs intérêts nationaux.


En France, le peuple se méfie de l’Europe. En 2005, il a rejeté la constitution qui lui était proposée. Ce refus était largement motivé par la frénésie d’élargissement de l’Union qui menaçait de faire entrer la Turquie dans la maison commune. On ne peut pas dire que, malgré les avantages que procurent l’appartenance à l’Union, notamment financiers, il y ait une adhésion sans condition à ce qui a trop longtemps été dénoncé comme la source des contraintes les plus absurdes, et des impossibilités d’agir au niveau national.


Sauf à montrer qu’il est capable de dompter les 26, comme un dresseur de fauves, mettre au pas les illibéraux, faire plier les frugaux, le tout sans rien concéder, bref faire de l’Europe une grande France à sa main, Emmanuel Macron prêtera le flanc à la critique. Loin d’être un tremplin, la présidence de l’Europe pourrait être un siège éjectable, car le réflexe souverainiste du peuple profond, toujours sous-estimé, ne manque jamais une occasion de s’exprimer dans les urnes.

Certes l’élection présidentielle vient trop tôt pour qu’apparaissent les reculades et les échecs inévitables car il y en a toujours dans les négociations européennes, qui n’accouchent jamais de solutions que dans la douleur et les concessions réciproques. Dans les trois prochains mois, Emmanuel Macron pourra ainsi camper une posture de champion de projets illusoires, comme celui, par exemple d’une Europe sociale, ou d’un accord sur les frontières. La réalité ne le rattrapera qu’après l’élection, à moins que la campagne électorale ne mette au centre du débat son option qui est de troquer la souveraineté française contre celle de l’Europe.

Bien qu’il ait tenté de l’exposer dans les médias, la vision du candidat Macron pour la France de demain n’imprime pas. Qui peut dire en quoi consiste son projet, à part « lui-Président » encore pour cinq ans, et un engagement pro-européen flamberge au vent ?

Privé de l’appui d’un parti politique pour répandre et vendre ses vues aux électeurs, le candidat-Président peut encore tabler sur une campagne écourtée pour s’imposer. Tel est l’espoir non dissimulé des modestes troupes des LREM, qui se sont empressées de confirmer qu’elles respecteraient les jauges covid pour leur meetings. Certains espiègles diront que ce civisme-là ne leur coûtera pas grand chose.


Emmanuel Macron a été élu en 2017, grâce à un hold-up judiciaire, il pourrait compter sur une prise d’otage covid pour être réélu en 2022. L’arbitre du scrutin d’avril prochain ne sera peut-être pas Dame Abstention, mais probablement le Sieur Omicron exterminateur de débats, à moins qu’ils ne s’unissent pour jouer dans le même sens d’un désamour de la chose politique. Les résultats pourraient alors être inattendus, on l’a vu lors des dernières municipales, où plusieurs grandes villes ont porté au pouvoir des maires verts dont les électeurs peu mobilisés ont découvert avec stupeur, mais trop tard, les idées farfelues.

On peut espérer cependant que le virus nouveau soit assez peu létal rétrogradant la pathologie au niveau d’une grippe saisonnière, et suffisamment contagieux pour que le pic de sa diffusion soit rapidement atteint, et que l’on sorte de la psychose de fin du monde qui règne depuis deux ans. Alors, les Français entreront dans la vie d’après, et pourront cesser de courber l’échine pour regarder vers le futur, ses défis et ses chances, ses dangers et ses potentialités. Dès lors, la question de la construction européenne pourrait revenir au premier plan, et tel la statue du Commandeur dans Dom Juan, le spectre du fédéralisme pourrait bien venir troubler le festin annoncé de Macron.




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