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Les cinq tropes d’Agrippa

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 17 janv. 2022
  • 3 min de lecture




Tout ce que nous savons d'Agrippa, philosophe du 1er siècle de notre ère, c'est qu'il résuma à cinq les raisons de douter, ou tropes. Le substantif "trope" vient du grec qui signifie « changement ». Pour la rhétorique, c’est un ornement de style, mais pour la logique, c’est un piège.


Ces tropes, ou sources d’erreur sont : le désaccord, le progrès à l'infini, la relation, l'hypothèse et l’extrapolation.


Le désaccord est celui qui existe entre les sens et l’intellect. Ce que l’on perçoit et ce que l’on comprend peuvent être en discordance. La question est alors de savoir si l’on doit faire confiance à sa perception ou à son intelligence des faits. Par exemple l’insécurité. Doit-on s’arrêter au sentiment d’insécurité, autrement dit la peur, ou analyser les raisons objectives de craindre un danger ? Agrippa suggère de ne pas prendre position. Mais si l’on n’est pas un philosophe qui peut se retirer du monde, il est clair qu’il faut tenir compte des deux réalités, et s’efforcer de les concilier. Au demeurant, comprendre pourquoi l’on a peur permet de dépasser le trope du désaccord que l'on peut appeler le "hiatus".


Le progrès à l’infini. Agrippa appelle ainsi le fait de justifier une perception par une autre, et une chose intelligible par une autre. La preuve doit elle-même être prouvée, jusqu’à l’infini… ou que l’on revienne sur le terme premier invoqué comme preuve de lui-même. Le complotiste invoquera des preuves qui pour être probantes nécessitent qu’il y ait un complot. C’est le diallèle dans lequel par un raisonnement circulaire une vérité A se prouve par une autre B, qui elle-même se prouve par A. Ce trope est ce que l'on peut appeler la "raison fuyante ou circulaire."


La relation. Ce qui est perçu est relatif à un observateur, sa subjectivité. Et la compréhension est sujette au mode de penser ; c’est-à-dire à ce que l’on estime constitutif d’une structure de vérité. Ce trope est celui qui est le plus couramment admis. Il peut être dénommé le "relativisme". Chacun estime pouvoir avoir son point de vue et sa manière de raisonner. Or, la réalité n’est pas de nature onirique. Empédocle qui professait que le réel n’est qu’illusion devait être protégé par ses disciples pour qu’il ne se heurte pas constamment dans les arbres. Le motif de cette source d’erreur tient au fait qu’il n’y a pas à notre époque de consensus sur la manière de penser le vrai.


L’Univers n’est pas un assemblage de briques élémentaires que sont les atomes. Il n’est pas non plus la résultante de l’opposition des contraires enseignée par la dialectique. Il est cela, mais plus que cela. En effet, nos perceptions nous montrent la limite de ces critères de vérité. Ce qu’est le Monde de ce siècle, dont l’observation de l’infiniment petit et de l’infiniment grand n'a jamais été aussi précise et pleine d’enseignement sur la structure profonde de ce qu’il y a à comprendre, nous ne pouvons pas nous référer à une théorie organisée. Il n’en existe que des lambeaux. Mais ceux-ci offrent des ouvertures sur une intelligence de ce qui est infiniment plus pertinente que les modèles précédents.


Tout n’est pas relatif, ni subjectif, il existe une vérité des faits. Si l’on ne les comprend pas, il faut au moins en respecter la matérialité, et ne pas la nier au nom d'instruments de pensée inadéquats. Il existe, en France notamment, un déficit d'homogénéité sociale qui induit un problème quant à l'immigration. On peut nier ce fait en agitant des motifs moraux, ou en invoquant des chiffres, ce relativisme ne fait pas disparaitre les faits objectifs, cela empêche seulement de les traiter convenablement.


Le quatrième trope d’Agrippa est l’hypothèse. Pour exercer notre logique et effectuer nos expériences, nous devons faire des hypothèses. Toute science expérimentale tient dans un protocole qui en délimite les conditions de validité. Bien entendu si les hypothèses sont fausses, les conclusions le seront aussi. C’est la raison pour laquelle, la démarche scientifique doit sans cesse rechercher la preuve contraire, et toujours considérer ses certitudes comme provisoires. Cela n’interdit pas d’aller marcher sur la Lune, de réaliser des progrès techniques étourdissants. Mais l’on doit veiller à toujours reconsidérer ses hypothèses, ce qui est plus aisé en physique que dans les sciences humaines. L’hypothèse qu’affectionnent les polytechniciens, « toutes choses étant égales par ailleurs », illustre bien ce trope, car dans les affaires humaines, ce n’est jamais le cas. Sur des bases fausses...


Cela conduit à l’extrapolation, le cinquième trope. La généralisation d’une constatation est l’une des sources d’erreur les plus toxiques. Si un islamiste radical se rend coupable d’un acte terroriste, par généralisation, on considérera que tout musulman est une menace. Cela est évidement faux, mais le trope de l’extrapolation est, lui, bien réel, c’est une tendance de l’esprit humain et l’on doit en tenir compte dans ses comportements et toujours songer à déminer le terrain, que l’on soit le sujet ou l’objet d’une généralisation hâtive.


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