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Les clés de la dégringolade

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 18 avr. 2021
  • 4 min de lecture

Rappelant un bon nombre de vérités qu’il est incorrect d’évoquer, comme l’origine d’extrême droite de François Mitterand, la part socialiste du national-socialisme, ou la dérive américaine du gauchisme orphelin d’une classe ouvrière, Michel Onfray dresse le procès du Président au double mandat qui après avoir été le contempteur de la Vème République en fut le profiteur le plus cynique.


Au delà de la mesquinerie qu’il y a à lui faire le grief d’avoir eu des maîtresses et une famille cachée entretenue aux frais de la République, il lui impute, plus sérieusement la responsabilité du naufrage de ce qu’il appelle la gauche, mais que l’on ne voit pas très bien en quoi, selon lui, elle consisterait.


« La gauche n’a pas su » dit Onfray. Cela est vrai, mais c’est parce qu’elle n’a pas pu. Elle n’avait plus de peuple de gauche au sens économique de prolétariat exploité justifiant une idéologie de la lutte des classes. Ainsi son mode de pensée s’est mis à tourner dans le vide.

Ce que ne voit pas Michel Onfray, qui ne raisonne pas en terme de systèmes sociaux, mais fait de l’histoire un recueil d’anecdotes, est que la responsabilité majeure est celle de l’élite qui a depuis les années 70 pris le pouvoir en France, et fait du spectacle démocratique un théâtre de marionettes.

Si le cheptel traditionnel de la culture de gauche a disparu, ce n’est pas par hasard. On le doit à l’abandon de l’industrie par une élite d’Etat composée d’administrateurs quand l’Allemagne bénéficiait d’une génération d’entrepreneurs. La fameuse génération Mitterrand a été une course à la protection sociale et une fuite des valeurs d’effort et de travail comme étalons de la réussite sociale. Telles ont été les clés de la dégringolade. On ne peut en tenir pour seul coupable un seul homme, fut-il Président de la République.


Bien entendu, le chef de l’Etat a quelque influence sur ce que devient l’élite du pays.

La grande différence entre Charles De Gaulle et François Mitterrand, est que l’un pensait la France telle qu’elle devrait être et l’autre voyait les Français tels qu’ils étaient. Les Corneille et Racine de la politique, en quelque sorte. Sous De Gaulle (qui n’a pas toujours eu les mains propres, mais gouverner n’est-ce pas se les salir ?) les polytechniciens étaient aux commandes, la France construisait des navires, des avions, et devenait une puissance nucléaire militaire mais aussi civile. Ce furent ensuite les énarques. La transition fut opérée par Giscard qui était l’un et l’autre. Ces nouveaux maîtres répugnaient à se commettre dans le cambouis industriel. Grâce aux nationalisations et au surpoids de l’Etat, ils ont joué au Monopoly financier, livrant les fleurons français aux fonds spéculatifs internationnaux. Alain Juppé qui rétablissait l’impôt sur les riches écartait d’un revers de la main le risque de voir le pays se vider de ses acteurs les plus dynamiques : les fond de pension américains les remplaceront, disait-il. C’est ce qui s’est produit avec les conséquences que l’on a vues. Non seulement les riches sont partis, mais les entrepreneurs aussi, et l’industrie a été désossée, puis délocalisée.

Onfray a tort de reprocher à Mitterrand sa politique pro-européenne, on doit à l’Europe les seuls lambeaux d’activité industrielle qui subsistent en France.


A qui lui demande ce qu’il retient de François Mitterrand, Onfray répond d’un seul mot cinglant : rien. C’est cruel mais vrai de l’homme qui a toujours navigué pour accéder au pouvoir puis le conserver, non pas pour l’exercer, mais en jouir.

Mais l’œuvre de François Mitterrand n’a pas été sans influence sur le visage de la France d’aujourd’hui. Certes, il n’a fait que composer avec la bureaucratie montante, et s’est complu à distribuer des postes. On pourrait dire qu’il n’a rien fait, mais laisser faire est aussi une politique. Pendant son règne la France s’est bureaucratisée à mort.

La prétendue régionalisation a créé plus d’un million de fonctionnaires en surplus, sans décentraliser le moins du monde. Ceci, comme le choix du chômage de masse, et tout le reste des démissions de ce qui faisait la richesse de la culture française, sont imputables à une élite de profiteurs des commodités de l’Etat. Ceux qui empruntaient la voie royale du prétendu « service public » et songeaient d’abord à se servir eux-mêmes ont créé un pays à leur image où le rêve d’une vie est de devenir fonctionnaire. Pendant ce temps le monde vivait la plus grande mutation de son histoire. Des peuples entiers entraient de plain pied dans la concurrence quand l’élite française fuyait toute compétition.

La gauche est comme un crustacé vide, elle n’a plus de substance car elle a elle-même fait disparaître sa raison d’être. Sur le champ de bataille, il ne reste qu’une fracture irréductible entre les protégés de gauche de la fonction publique, et les précaires à qui incombe de créer les richesses et ne voient plus dans la gauche que leurs nouveaux exploiteurs.

La rupture de Michel Onfray d‘avec Mitterrand réside, il le proclame, dans le « tournant de la rigueur » de 1983. Dans le parcours de l’homme de Jarnac cette date n’est pourtant qu’une de ses soumissions aux circonstances. Elle n’est pas un revirement idéologique, même si pour la gauche française ce choc des réalités fut cruel.


De fait, le philosophe, qui n’entend rien à l’économie, lui impute des responsabilités initiales surestimées dans la dégringolade de la France ; c’est ainsi que l'on rend toujours responsable ce qui nous est mystérieux plus volontiers que ce que l'on connaît et l'on mesure mieux l'importance.


Ainsi tournent en rond les théoriciens anticapitalistes qui ignorent que le seul choix est entre capitalisme d’Etat et capitalisme privé ; et qui perdent de vue que si le capitalisme privé peut être régulé par l’Etat, le capitalisme d’Etat est fatalement celui d’une bureaucratie si incontrôlable qu’elle en devient stupide.


Dans la séparation des pouvoirs d’une démocratie idéale, il ne faut jamais négliger la nécessité de jouir d’un pouvoir économique indépendant, mais comme tous les autres pouvoirs limité et contrôlé par les autres contre-pouvoirs : législatif, exécutif, judiciaire, et de l’information. Ce cinquième pouvoir exercé par une bureaucratie devient impéritie et conduit à la ruine.



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