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Les enseignements d’une guerre

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 28 mars 2022
  • 7 min de lecture

Il est prématuré de considérer la guerre en Ukraine comme terminée, tant s'en faut, mais déjà il est possible d'en tirer quelques enseignements qu'il serait imprudent d'ignorer.


Les guerres ont des raisons que la raison ignore. Cette proposition n’est ni vraie, ni fausse. On sait que les conflits armés, vieux comme l’humanité, ont pour objet la conquête de territoires et de richesses, ce qui constitue une raison sensée sinon morale. D’un autre côté, les guerres sont idéologiques et paradoxales dès lors qu’elles mettent en jeu des idées qui aveuglent plus qu’elles n’éclairent alors qu’elles devraient rendre les hommes plus sages. La guerre est, enfin, souvent en Europe, la réponse au besoin d'affirmation d'une identité nationale.


On tente de se rassurer en observant des cartes de la géographie de l’Ukraine, et en écoutant les stratèges qui expliquent la guerre par des visées territoriales limitées de la part de l’agresseur russe. Mais la disproportion entre ces gains et les pertes irréparables ne peuvent se comprendre par la seule mauvaise évaluation du président Poutine, potentat abusé par les conseillers terrifiés à l’idée de lui déplaire. Erreur sur l’état d’esprit des Ukrainiens, erreur sur la puissance réelle de son armée, erreur sur la réaction des Occidentaux. C’est omettre que depuis des années Poutine se maintient au pouvoir par des propos très critiques sur les démocraties de l’Ouest, qui elles-mêmes relaient en leur sein un discours de décadence. Sa démonstration de force la plus étonnante fut de faire assurer la présidence par un Medvedev potiche, pour tourner la règle constitutionnelle qui limitait les possibilités de réélections successives.

Il est peu crédible que cet esprit dénué de scrupules n’ait pas mesuré l’importance du pas qu’il allait franchir en envahissant l’Ukraine, ou plus précisément en jetant le masque d’une invasion commencée en 2014. Il en a accepté par avance les conséquences qui ne seront pas anecdotiques.


Ce que les scientifiques n’ont pas réussi à obtenir depuis des décennies, c’est à dire la baisse de la consommation des énergies fossiles, en quelques jours, Vladimir Poutine l’a fait. Le dépendance au pétrole et au gaz est devenue un enjeu de survie immédiate pour l’Europe libre. Dans un premier temps, on cherchera des palliatifs, mais inévitablement, les solutions alternatives vont s’imposer non comme des comportements vertueux « bons pour la planète », mais comme des stratégies sécuritaires. L’ennemi humain est, en effet, un danger plus motivant que le réchauffement du climat.


On savait que Poutine rêvait d’un retour de la Grande Russie, mais bien peu imaginaient qu’il était prêt à couper tous les ponts avec l’Occident. Sans doute obnubilée par l’affrontement entre l’Occident et l’Islam, et se croyant toujours sous protection américaine, l’Europe a négligé la Russie et n’a pas vu qu’elle s’éloignait d’elle jusqu’à créer un véritable fracture civilisationelle.


L’erreur géopolitique des Etats-Unis aura été de croire que le monde pouvait se diviser en deux parties : le Pacifique d’une côté, l’Atlantique de l’autre, et qu’ils pouvaient se désintéresser du second pour se consacrer au premier. En réalité le monde est un. La planète est désormais trop petite pour être ainsi cloisonnée par la géographie. Elle peut toujours se diviser, mais par des clivages d’ordre politique, entre démocratie et régimes autoritaires.


Se retirer du Moyen Orient puis se désimpliquer d’Europe de l’ouest laissait le champ libre à Vladimir Poutine qui, certes, avait soif de revanche, mais aussi était mû par un effet d’aubaine.


Il est simpliste de présenter Biden comme un cynique qui ne songe qu’à engranger les bénéfices d’un conflit en vendant du gaz et des avions aux Européens. C’est oublier que celui qui a déterré la hache de guerre est bien Vladimir Poutine. Ce qui révulse Joe Biden est le rejet par les Russes de ce qui fait à ses yeux le cœur de la démocratie occidentale. L’usage décomplexé de la force par le maître du Kremlin comme mode légitime de domination renvoie l’état de droit aux oubliettes de l’histoire. Mais Poutine, qui réalise depuis des décennies ce qu’en Afrique on appelle la « danse de l’homme fort » pour plaire aux russes, est aussi le champion des dirigeants du même modèle, qui, s’ils ne le soutiennent pas, ne le condamnent pas non plus. C’est le retour du machisme, et des « valeurs » qui ont, des siècles durant, prévalu dans le monde, et qui sont celles du patriarcat.


En 2004, le professeur de management à Stanford, Robert Sutton a théorisé la civilisation comme la mise en oeuvre de la loi dite du No-Asshole, c’est à dire « pas de Trouduc ». Cette règle énoncée pour une entreprise idéale pointait les comportements significatifs du comportement de Trouduc, qui font de cet individu un personnage à proscrire.

Il énumère : les insultes, les violations de l’espace personnel, les contacts non sollicités, les menaces, sarcasmes, calomnies, humiliations, le fait de faire honte, de pratiquer l’interruption, répliquer de façon mordante, grimacer, et snobber.


Selon cette loi, Poutine, qui réunit tous les caractères du Asshole absolu, devrait être mis au ban de la société. Mais la société internationale n’est pas aussi progressiste que celle du professeur Sutton. De fait, Biden réagit comme un woke qui croit dans les vertus de la cancel culture. C’est oublier que l’on ne traite pas un détenteur de la puissance nucléaire comme un Trouduc, sans risque majeur, même si, et a fortiori, il en est un.

Poutine fait froid dans le dos. Mais Joe Biden fait peur. L’un agite un bidon d’essence, l’autre une boîte d’allumettes. Certes, Vladimir Poutine est d’une mauvaise foi et d’un cynisme ahurissants, mais le qualifier de «tueur », de « boucher », de « criminel de guerre » pour conclure en invoquant Dieu pour qu’il ne « reste pas au pouvoir », ferme toute possibilité de négociation.

On a le sentiment d’une confrontation entre un psychopathe sanguinaire et un vieillard cacochyme et vindicatif.


Cependant, si l’on écoute plus attentivement Biden, on se rend compte qu’il ne se limite pas à de l’imprécation. Il avertit que le monde a brusquement changé, qu’il se divise en deux blocs, les démocraties auxquelles s’opposent les régimes autoritaires, et que les USA sont prêts à prendre le leadership d’un nouveau monde libre. Cette confrontation est mondiale. Par cette division, la Terre forme à nouveau un seul monde, certes désuni, mais unique. Ce qui se passe en Ukraine influe directement sur Taïwan. Les conséquences politiques seront considérables dans le Monde arabe, Maghreb et Egypte notamment où la pénurie de céréales risque de créer des bouleversements majeurs.


Un battement d’aile de papillon au cœur du Zambèze peut changer le cours de l’histoire. Ce qu’a réalisé Vladimir Poutine, en envahissant l’Ukraine, est bien plus important. Il a fait basculer l’humanité entière dans un autre univers.

Quand on parle de la confrontation entre démocraties et régimes autoritaires, il ne s’agit pas seulement de systèmes politiques, de fait il est question de civilisations.


La civilisation Occidentale est dite décadente en son sein même, cependant quand on l’observe, non pas en détail dans ses errements, mais dans sa globalité, on se rend compte qu’elle a réalisé une mutation historique en passant d’une organisation multimillénaire patriarcale à une marche vers un matriarcat passant par un affichage d’égalité des sexes. C’est en tout cas ainsi que le reste du monde, et une partie aussi de l’Occident perçoit ce changement gigantesque.


On considère, avec raison, dans nos démocraties, que le principe d’égalité doit s’appliquer entre les femmes et les hommes. Il est cependant contraire à une différence biologique qui sépare les deux sexes. Cette différence est aussi culturelle en ce qu’elle a fondé un système de répartition des tâches entre les deux sexes. De tâches et aussi de pouvoirs, de sorte que l’on peut dire que l’un des deux sexes opprime l’autre. Les mâles ont tyranisé les femmes, dans la vie ménagère et sociale, mais aussi dans les pratiques guerrières où le viol a été jusqu’à peu un usage de nettoyage ethnique. Cette réalité ancestrale rend difficile un simple rééquilibrage, et nécessairement pousse à des excès qui permettent de prévoir que le mouvement ira jusqu’au matriarcat. Les éléments en sont déjà à l’œuvre en occident par la déconstruction de la figure du mâle, et sa mise en accusation systématique.


Cette mutation civilisationnelle implique des changements sociaux considérés par certains comme des progrès, par d’autres comme des abus, voire des folies.

Les valeurs aussi sont tourneboulées. La vision féminine de la vie et de la société n’est pas identique à celle des mâles. Par exemple, ce changement n’est pas étranger au fait que les héros soient effacés au profit des victimes dans l’échelle des valeurs.


Quand il envahit l’Ukraine Poutine fait, entre autres, la désontration d’une limite de l’évolution de notre civilisation. Devant la guerre, les femmes et les enfants sont mis à l’abri et les hommes meurent au combat. C’est un retour à une réalité biologique de conservation de l’espèce. La guerre est une affaire d’hommes, les femmes sont faites pour la paix. Certes il y a des exceptions, des femmes de guerre, mais elles confirment la règle. Cette réalité naturelle est d’ailleurs un argument très fort pour souhaiter que le matriarcat pacifique succède à un patriarcat belliqueux. Hélas, si l’Occident est mûr pour cette transition, il ne l’est pas totalement à en juger par la fracture de la société américaine d’aujourd’hui, et surtout l’ensemble du monde ne suit pas. La culture islamique reste réfractaire à l’abandon du patriarcat. C’est d’ailleurs un des problèmes que rencontre la société française pour assimiler cette religion. En Asie, la question de l’égalité est acceptée du bout des lèvres, mais en aucun cas le patriarcat n’est remis en cause. En Afrique, il en est de même, et cela explique en partie le succès foudroyant de l’Islam sur ce continent.


On ne comprendra rien à la guerre en Ukraine, si l’on ne considère pas sa dimension culturelle. Dans le patriotisme ukrainien, il y a la preuve d‘une aspiration à la liberté que l’autoritarisme patriarcal russe ne peut offrir. On peut dire que les démocraties évoluent globalement vers le matriarcat, alors que les régime autoritaires se raidissent dans un patriarcat de moins en moins tolérant. Ainsi le Patriarche Kirill pouvait en bénissant les combattants russes stigmatiser les pays de la gay pride.


Il serait temps de repenser l’humanisme avant que l’humanité ne s’autodétruise. Il y a certainement un gentlemen agreement (si l’on peut dire) à trouver entre patriarcat et matriarcat, de manière à ce que l’un ne se croit pas obligé de faire étalage de sa force et l’autre accepte sa différence. Cela va bien au-delà du partage des tâches ménagères, et oblige à reconsidérer les structurations sociales en tenant compte des réalités planétaires.


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