Les pavés de l’Enfer
- André Touboul
- 22 avr. 2021
- 7 min de lecture

Affaire Halimi. Macron se rue sur l’actualité et propose de changer la loi. Une manière de détourner à son profit l’émotion suscitée par la décision de la Cour de Cassation de considérer comme irresponsable pénal, le meurtrier de Mme Halimi au motif que son discernement aurait été aboli par la consommation de drogue, tout en reconnaissant le caractère antisémite des actes commis.
La récupération de l’émotion suscitée par Emmanuel Macron est attristante par la réponse qu’il propose.
Certes, le chef de l’exécutif ne doit pas interférer dans le cours de la justice, mais il appartient à tout citoyen de commenter les décisions judiciaires. Le Président n’est pas un citoyen amoindri à cet égard. On notera, au demeurant, que la séparation des pouvoirs n’a pas empêché le Président Biden de commenter la décision intervenue dans l’affaire du meurtre de Georges Floyd, alors que la procédure est loin d’être terminée.
Si la réaction d’Emmanuel Macron est désolante, c’est parce qu’elle est à côté de la plaque. Ce qui est en cause, ce n’est pas une quelconque lacune de la loi, mais une carence dans la volonté de l’appliquer.
En effet, si, en l'espèce, la loi est en cause, c’est par sa violation par la Cour de Cassation. Elle ne pouvait sans se contredire constater qu’il y avait eu intention antisémite de l’auteur et estimer que son discernement était aboli.
L’antisémitisme n'est pas, au sens trivial du terme, une preuve de discernement, mais dès lors que l’acte procédait d’une volonté de l’accomplir et était motivé par une adhésion à une idéologie, l’assassin ayant crié « Allah Akbar », puis « j’ai tué Satan », son acte était délibéré puisqu’il se revendiquait religieux, antisémite et misogyne.
Les actes qu’inspire cette idéologie ne sont imputés à des fous que par ceux qui nient l’existence de l’Islamisme par crainte de se voir taxés d’islamophobie. Les crimes commis au nom de ce terrorisme sont par eux systématiquement qualifiés d’isolés, d’agissement de loups solitaires, de faits imputables à des détraqués mentaux... le tout étant invoqué pour ne pas affronter la réalité du caractère toxique d’une religion dévoyée et mal comprise servant de machine de guerre contre notre civilisation.Le racisme est une maladie morale, mais pas une pathologie mentale.
Les justifications pseudo-juridiques que la Cour de Cassation a fournies, en se réfugiant derrière une prétendue lacune légale, sont pitoyables. Le fait est exceptionnel. Jamais la Cour suprême ne justifie ses propres décisions hors des motifs de celles-ci. Mais quoi qu’elle en dise, la Cour s’est contredite.
Lui emboîtant servilement le pas, quelques juristes, cités par la presse, notamment Le Point, ont aussi pataugé. Ne leur en déplaise, il n’est pas nécessaire, pour être jugé, de savoir distinguer le bien du mal. S’il en était ainsi, peu de gens seraient éligibles à une procédure, car le bien et le mal sont souvent relatifs et apparaissent diversement selon les points de vue. Pour être jugé selon ses actes, il faut avoir voulu les commettre. Là seule est la frontière. Le dément n’est pénalement irresponsable que s’il n’a pas l’intention de faire. Or dans l’affaire Halimi l’intention est évidente, on peut même dire criante. La haine est palpable, et elle a commandé l’accomplissement des actes.
La question se pose alors de comprendre pourquoi, la plus haute formation judiciaire de notre pays s’est ainsi fourvoyée.
Même quand on la dit immanente, la justice ne tombe pas du ciel, elle est rendue par des hommes et des femmes. Il n’est donc pas indifférent de savoir comment sont composées les instances qui rendent la justice en France.
La magistrature est, au niveau des Tribunaux, juges du siège, d’instruction et procureurs, majoritairement gauchisante ; elle croit en sa “mission” de réformation sociale, et en un progrès qui rend les individus créanciers d‘une société dont les devoirs sont sans limite à leur égards. Ce sont plus des travailleurs sociaux que des juristes. A ce stade, fleurit la culture de l’excuse. Le syndicalisme militant y dicte sa loi aux magistrats intègres dont le dévouement à la justice est considéré comme de la compromission de classe.
Dans les Cours d’appel, les juges accèdent à des postes, en se découvrant plus qu’ailleurs dans la fonction publique une foi franc-maçonne qui tempère leur militantisme initial ; la carrière est leur souci principal, sinon unique. On fait alors de la politique de chapelle, celle qui peut, selon les mouvements de majorités, aider ou freiner une ascension dans la hiérarchie.
Au sommet de la magistrature, les luttes individuelles de pouvoir prédominent. Le contrôle de l’institution est essentiel. Les susceptibilités prennent parfois le pas sur les questions d’orthodoxie juridique. Les hauts magistrats sont persuadés qu’ils sont dépositaires d’un véritable pouvoir judiciaire qu’ils placent au dessus de tous les autres.
Cette architecture est bâtie sur une méritocratie recrutée sur concours, formée dans une école nationale unique, qui s’évalue elle-même, et fait preuve d’un corporatisme sourcilleux, qu’elle baptise indépendance, oubliant parfois l’impartialité qui pourtant en est la raison d’être.
Cet ensemble, bien que fermement réuni par l’esprit de corps, n’est ainsi pas homogène. Pour apprécier la portée sociale d’une décision, il faut toujours situer le degré de juridiction qui en est l’auteur. En ce qui concerne les auxiliaires que sont experts, leur technicité se signale surtout par leur capacité à se contredire, en particulier dans les domaines des sciences dites humaines (trois experts, quatre avis), mais ils sont des cautions bien commodes pour justifier les jugements les moins justifiables.
L’affaire Halimi est curieusement désignée par le nom de la victime alors que l’auteur du crime est connu ; on parle des affaires Dominici, Petiot, Landru... Ce traitement médiatique donne le désagréable sentiment que la malheureuse aurait été la cause de son propre assassinat. Quelle idée d’être juive dans une cité où il n’y en a pas !
Les hauts magistrats qui ont déclaré l’assassin de Mme Halimi irresponsable et on par là même refusé tout jugement, ne sont pas suspects d’être eux-mêmes antisémites, ni même islamo-gauchistes. Ils sont même animés des meilleures intentions. Ne pas « stigmatiser, ni amalgamer », tel a été leur souci principal. Ils avaient à juger des faits révoltants, ils se sont comportés en cellule de soutien psychologique avec pour objectif essentiel d’éviter que la société tienne tous les musulmans de France pour responsables.
Cette précaution de principe a quelque chose d’insultant pour le peuple de France qui serait selon eux prompt à stigmatiser et amalgamer, alors que tout montre que jamais l’on est tombé dans ce piège, malgré les attentats qui se sont succédés depuis des décennies.
Statuant à l’encontre du bon sens les magistrats de la Cour de Cassation estimaient protéger la paix sociale. S’ils ont failli à leur mission qui est d’appliquer la loi, c’est aussi pour ne pas froisser les musulmans, ni être accusés de jeter de l’huile sur le feu.
Ces bonnes intentions comme l’invocation à tout propos de grands principes qui interdiraient d’agir contre les nuisibles, sont les pavés de l’Enfer dont les magistrats se sont faits les cantonniers, sans doute involontaires.
Une autre affaire a suscité l’émotion. Le verdict en appel pour les tentatives de meurtre par le feu à l’encontre de policiers. Etaient jugés des individus mineurs au moment des faits. Malgré le huis clos on a appris que le procureur avait déclaré aux prévenus « vous êtes la richesse de ce pays ». La décision a choqué par son laxisme, et pas seulement les policiers. Il a été prétendu par le Garde des Sceaux que cette déclaration avait été sortie de son contexte qui aurait été une citation de Paul Ricoeur (!). Mais on ne voit pas en quoi cela changeait le caractère révoltant des dites paroles adressées à des criminels.
Les criminologues comme Alain Bauer, qui connaissent leur matière par le détail, auront beau dire, en se fondant sur les chiffres, que la justice française est en réalité sévère, mais seulement trop lente, les faits sont là. : l’image est mauvaise. La justice est une autorité, c’est à dire une image, et sa substance est essentiellement faite de celle qu’elle donne. Or celle-ci est déplorable, en décalage avec la société réelle. De la même manière que le reste de la fonction publique et largement pour les mêmes rasions, les magistrats sont perçus comme hors-sol, et leurs décisions sont de moins en moins comprises.
Chez les Iroquois, quand un guerrier manque systématiquement sa cible, les sages proposent de changer l’arc, puis la flèche, mais si les échecs persistent, ils suggèrent de changer l’indien. La magistrature manquant trop souvent sa cible qui est de s’approcher le plus possible d’une justice idéale. On doit fatalement s’interroger sur ceux qui l’administrent. Les excellentes raisons qui ont conduit à supprimer l’ENA devraient entraîner la suppression de l’ENM, et la mise en place de plus de diversité dans les expériences de vie pour le recrutement.
A cet égard, une réflexion de Philippe Bilger sur Cnews laisse perplexe. Une déclaration d’Emmanuel Macron en 2020 estimant qu’un procès serait souhaitable dans l’affaire Halimi, même s’il devait aboutir à un jugement d’irresponsabilité, aurait pu être selon l’ancien procureur « contreproductive ». On craint de comprendre que la Cour de Cassation ait utilisé sa décision pour contrer le Président, car ce serait tout simplement une forfaiture. De même, la citation de Paul Ricoeur dans un procès pénal interpelle désagréablement sur les arrières pensées qui l'ont motivée.
L’affaire Halimi interpelle sur un autre aspect, celui de la finalité du procès pénal. L'irresponsabilité pénale comme le décès du prévenu met fin à l’action publique, comme son irresponsabilité pénale, cela interdit dans l’état actuel de notre droit de tenir un procès.
Cela est insatisfaisant, le procès n’est pas seulement destiné à l’accusé, il est fait aussi pour les victimes, il permet l’établissement de la vérité, il autorise le deuil. Trop souvent la justice se polarise sur les criminels et oublie les victimes. Il serait temps de reconnaître qu’un procès est aussi un droit pour les victimes et leur famille.
S’il y a une réforme de la loi à opérer, c’est certainement pour rendre la Justice à ceux qui la réclament, et non plus en réserver l’exclusivité à ceux qui la fuient.
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