M, le maudit et la part du feu
A entendre les officiants dans les médias autorisés et à lire la presse internationale qui n’en est souvent que l’écho, nul ne trouve de raison sensée à la décision du Président Macron de dissoudre le 9 juin l’Assemblée Nationale Française. Ce coup de théâtre, après une défaite, certes importante, mais attendue et usuelle pour le pouvoir en place dans les élections européennes, suscitait une question unanime : Quelle mouche l'a piqué ?
Il est exclu, et en tout cas insuffisant, que le Président ait fait une de ces colères qu’il réserve d’ordinaire à ses Ministres, et voulu punir le peuple qui avait mal voté. On peut aussi écarter qu’il ait sérieusement espéré que les électeurs allaient, par la seule magie de son verbe souverain, changer diamétralement d’avis du soir pour le matin. Ce retour d’affection était d'autant moins probable que l'opinion ne pouvait qu’être éclairée faiblement sur les enjeux par une campagne éclair qui prenait au dépourvu tous et chacun, jusque dans son camp.
Non, il faut voir ailleurs le motif impulsif et déterminant de cet acte brusque d’autorité.
On doit dans cette recherche s’affranchir du Macron bashing, plat unique de ceux qui désormais « bouffent du Macron » à tous les repas médiatiques. Ce réflexe conditionné constitue une mode trop suivie pour ne pas être suspecte, et il rend aveugle à toute mise au jour de la part de raison raisonnable qui existe en toutes choses, et pourquoi pas celle-ci
Tout d’abord, rappelons que les critiques à l’endroit du Chef de l’Etat ont progressivement monté dans les médias ces derniers mois, puis elles se sont accélérées comme de la soupe au lait dans la marmite. Chaque prise de position du Président provoquait une pluie drue de critiques, mal tempérée par de rares explications de spécialistes exposées du bout des lèvres. L’épisode de l'évocation de l'éventualité de troupes au sol en Ukraine en est un parfait exemple. La parole présidentielle était traditionnellement, sous notre République, relayée, développée et explicitée à l'opinion, avant d'être critiquée. Cette fois, la condamnation radicale a précédé l'explication des vertus de l’ambiguïté stratégique, un argument qui n'était pourtant pas dénuée de pertinence.
Devenu inaudible, pour des motifs que l'on a déjà eu l'occasion d'exposer, et le sachant, le Président s'est trouvé désarmé dans une situation où il prévoyait avoir à convaincre les Français de la nécessité de prendre des mesures radicalement impopulaires. L’ajustement des conditions d’indemnisation du chômage, pourtant d’une évidente nécessité, provoquait des critiques jusque dans sa majorité relative.
Cette surdité au bon sens, non seulement des politiques, mais surtout de la majorité des Français, il l'avait notamment constatée lors de la réforme des retraites. Il ne pouvait que désespérer d’un peuple qui, à contre-courant de ses voisins d’Europe, prétendait gagner plus en travaillant moins.
Au nombre des problèmes à affronter, il devait faire face à plusieurs défis : la sécurité, le contrôle de l'immigration, l'éducation, la santé, l'autorité de l'Etat, bref toutes les questions régaliennes en souffrance, mais par dessus tout, la plus urgente d'entre elles : celle de l’impasse financière.
Emmanuel Macron, qui est comptable, car c’est factuel, de l'augmentation de 1.000 milliards de la dette publique, était confronté à un défi sans solution. Son ministre Le Maire ne parvenait pas à trouver 20 milliards d’économie, quand le Président de la Cour des comptes chiffrait l’impasse à 50 milliards. Certes, le crédit de la France n'était pas amoindri malgré la décote des agences internationales de notation, mais la démagogie des oppositions et les états d'âmes de son propre camp, rendaient improbable le vote du budget 2025 dont la rigueur est imposée par le coût croissant de la dette.
Il aurait pu attendre une motion de censure annoncée par l’opposition, il a préféré prendre les devants. « Si le gouvernement actuel n’est pas capable d’assumer la catastrophe, il est possible que l’opposition s’en empare », disait Raymond Devos, il n’est pas impossible qu’Emmanuel Macron s’en soit inspiré pour se résoudre à passer le mistigri à l’opposition.
Il ne s’agissait pas tant d’éviter de se voir forcer la main à une dissolution non voulue, que d’échapper à la responsabilité d’une issue fatale. En effet, Rien ne pouvait, en l'état des mentalités, éviter le glissement inexorable sur une pente, bien sûr amorcée par ses prédécesseurs, mais dont l'accélération correspondait à la facture de son “quoiqu’il en coûte” systématique.
Rien ne pouvait permettre d’amortir la chute. La dissolution n’a pas changé par elle-même l’équation financière, mais elle a détourné l’attention et il pouvait espérer qu’elle produirait un choc propre à ramener sur terre un peuple par trop bercé d’illusions. Les Français sont farouchement hostiles à toute économie, et montrent à toute occasion leur aversion à l’effort. Le tropisme du « pouvoir d’achat », exploité par les démagogues, est sans cesse repris en chœur par toute la classe politico-médiatique. Les sondeurs ne manquent jamais de placer cette préoccupation en tête de celles des Français, mais c’est, en vérité, un arbre planté là pour cacher la forêt des autres problèmes que l’on ne souhaite pas aborder.
Si la « vie chère » dont on parlait au siècle dernier avait un sens, le « pouvoir d’achat », érigé en unique raison de vivre, voire en religion de la société de consommation, est une promesse fallacieuse qui pourtant séduit. Personne n’est jamais satisfait de son « pouvoir d’achat », quelque soit son niveau de revenus.
Nul n'ignore que la relance par la consommation dans un pays qui ne produit pas assez est une aberration à laquelle aucun père ni aucune mère de famille ne peut croire, mais qui est proclamée comme une revendication légitime par toute la classe politico-médiatique. Edgar Faure disait avec sagesse qu’il faut cuisiner le gâteau avant de le partager et ensuite le manger. Cette évidence a fait place à l’idée absurde que la prospérité pouvait naître d’une distribution de pouvoir d’achat financée par l’emprunt qui se porte largement sur des produits importés. La dictature du caddy surmonte tous les autres arguments politiques de ceux qui manquent de projet.
Pourtant, c’est l’automne, La France des cigales ne veut pas croire que la bise soit venue. Ce vent mauvais, nul ne se résout à l’affronter, alors on le nie. On promet d’augmenter le pouvoir d’achat, quand c’est un ou deux crans de ceinture qu’il faut resserrer. L'instrument le plus symbolique des temps à venir est certainement l'emporte-pièces, car il faudra percer à nos ceintures des trous supplémentaires.
La dette publique est, à cette heure, toujours financée, mais à un coût qui augmente chaque jour, et ce qui importe est la pente d’aggravation des déficits. Cette descente aux enfers vertigineuse ne pouvant s’inverser, il y avait urgence pour Macron à s’en défausser pour ne pas avoir à se trouver face à un Budget 2025 impossible à boucler.
François Hollande a perdu son pari d’inversion de la courbe du chômage. Ce sont celles des finances publiques, du déficit et de la dette qui résistent à Emmanuel Macron. La perspective qui s’offrait à lui était celle de la banqueroute ; un cauchemar, il est vrai, pour un ancien banquier, un crève-cœur pour celui dont l’une des seules réussites était de réveiller l’économie française.
De fait, la dissolution du 9 juin est un dépôt de bilan avant cessation des paiements. Le nouveau Premier Ministre, qu’il choisira, de préférence hors du camp présidentiel, jouera malgré lui le rôle de Syndic de faillite. Il sera difficile de trouver un réel candidat, quoi qu'en disent les uns et les autres qui font tout pour ne pas être pressentis, en scandant « tout le programme, rien que le programme ». La France devra pendant quelques temps être placée sous-Administrateur provisoire.
Parvenu à Matignon avec des promesses plein la bouche, le prochain locataire constatera qu’il a les poches vides et les mains liées. S’il est issu d’un des extrêmes, il s’obstinera, car telle est la marque des extrémistes, et il y aura des dommages collatéraux à subir pour les Français.
La dissolution, c’est vraiment du Raymond Devos qui observe : « ce n’est pas en remettant à demain la catastrophe que l’on pourrait faire le jour même qu’on l’évitera ».
Les excès de Mélenchon et dans une certaine mesure Le Pen montrent que ni l’un, ni l’autre ne veulent l’assumer, cette catastrophe. Même les rodomontades de Quatennens qui appelle à marcher sur Matignon, ou de Mme Binet, qui à la tête de la CGT menace d’une grêve sévère, ne sont vraiment sérieux. Le désordre ne ferait que justifier le recours par le Président aux pouvoirs d’exception prévus par l’article 16, ce qui pourrait bien régler la question du budget 2025.
La chute de la maison Macron est réelle mais loin d’être totale. Certes les Macronistes ont fait campagne sans son effigie, ce qui s’est révélé bien utile pour ratisser les votes dans la combination des désistements croisés du “Front républicain”. Mais nul ne s’y est trompé, en votant pour des Renaissance, Horizons ou Modem, c’était pour le Président que l’électeur se prononçait. Lui parti, les membres de Renaissance ne sont rien, il leur faudra vitement trouver refuge qui à gauche, qui à droite, ou s’inventer un nouveau leader… Attal peut-être, ou Darmanin… mais en ont-ils la pointure ? N’est pas Macron qui veut.
Par la dissolution, Emmanuel Macron semble descendre d’un train en marche toute vapeur vers une voie de garage. Mais il n’est pas Paul Deschanel, le Président de la République que l’on retrouva en pyjama sur les rails en pleine nature. Il a toute sa tête, il est dans notre République le garant de la continuité des pouvoirs publics et du fonctionnement des institutions. Tous ceux qui, comme les NFP, veulent lui imposer leur interprétation de la Constitution, sans disposer d’une majorité effective pour en justifier, sont en vérité des factieux. Leurs costumes, confectionnés d‘oripeaux d’une gauche jadis humaniste, ne doivent pas leurrer. Mussolini, lui aussi, venait de la gauche.
La France a encore besoin de M, le maudit. Par la dissolution, Emmanuel Macron savait évidemment qu’il allait y perdre, mais n’est-ce pas ce que l’on appelle faire la part du feu ?
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