Macron, et l’âne de Buridan
- André Touboul
- 10 janv. 2021
- 4 min de lecture

Jusqu’à la crise sanitaire, le « en même temps » avait toute l’apparence de la godille. Emmanuel Macron avançait en crabe, et progressait par millimètres, après avoir annoncé d’immenses bonds en avant. Dans la chaleur de la covid, on a pu avoir l’impression d’un mouvement de tango, un pas en avant deux en arrière. Le rétropédalage est devenu sous des dehors de déclarations martiales le signe le plus clair de ses gouvernements déboussolés, dépourvus de compétences au point de devoir en quérir de stratégiques auprès de cabinets privés anglo-saxons, Mais une étape parait avoir été franchie, celle de l’immobilisme.
La qualité majeure qui pouvait être reconnue à Emmanuel Macron est d’avoir libéré la parole des vieilles lunes du politiquement correct qui sclérosait la pensée médiatique. Mais ses dernières déclarations, tantôt chèvre,tantôt chou, le montrent plus pusillanime que libre penseur. Il paraît désormais converti à la politique de l’âne de Buridan.
Le paradoxe de l’âne, mort de soif et de faim pour n’avoir pu décider s’il voulait d’abord manger ou boire, est attribué au philosophe du 14ème siècle Jean Buridan, passé aussi dans la mémoire littéraire grâce à François Villon, qui évoque son infortune d’avoir été jeté dans un sac en Seine, dans la Balade des Dames du temps jadis. Buridan fit dans son enseignement référence à un chien que la postérité changea le canidé en âne, animal réputé stupide et entêté.
Le dilèmme de la double contrainte avait été évoqué dans des termes théoriques semblables par Aristote : l’homme qui, affligé d'une faim et d'une soif très vives, mais également intenses, et se trouve à égale distance des aliments et des boissons demeurera nécessairement immobile, déclare le philosophe grec. S’il veut réaliser « en même temps » l’un et l’autre, il se condamne à de minuscules mouvements contradictoires. L’indécision est mère de l’immobilisme.
Appliqué à l’exercice du pouvoir que l’on dit exécutif, car consacré à l’action, le choix est une nécessité quotidienne. Les options offertes sont le plus souvent, sinon toujours, de nature alternative. Le “en même tempse suppose la compatibilité. Mais il est des choses que l’on ne peut faire simultanément, par exemple, on ne peut “ à la fois”, manger et boire, être debout et assis, être ici et ailleurs...
Le commun des mortels ne peut s’acquitter que d’une seule tâche intentionnelle à la fois. Parfois même, certains ne peuvent exécuter ensemble deux taches mécaniques, telles que mâcher du chewing-gum et descendre d’un avion, comme Gérald Ford. Quant aux idées, en décréter la compatibilité ou la convergence générale et universelle appartient au royaume de l’Absurdie. Certaines idées sont conciliables, d’autres pas. Par exemple, il est impossible de déclarer que la police française n’est pas raciste, et simultanément déplorer qu’elle abuse des contôles au faciès.
La faiblesse congénitale du macronisme est de systématiquement affirmer une chose et son contraire, sans dire comment on pourrait les concilier. Avant Macron, le centrisme voulait ménager le chaud et le froid, mais par le tiède ne faisait ni chaud, ni froid. L’ambition du « et de droite, et de gauche » était de rendre conciliable les contraires. Cette gymnastique requiert une agilité hors du commun. Après y avoir fait croire par un discours complexe, Macron se révèle simplement incapable de choisir.
Si le Président a bien du mal à se faire obéir par la haute administration, c’est évidement parce qu’elle est rétive au changement de tout ce qui menace son confort et répugne à prendre des risques, mais aussi parce que les grands commis de l’Etat, qui pour certains sont de bonne foi, ne sont pas en mesure d‘extrapoler la politique voulue par le monarque dans ses applications pratiques. D’où, la cascade de loupés et de carences, dans la gestion administrative de la crise de la covid, et si l’on regarde en arrière, depuis le début du quinquennat. Sans cesse, Macron a paru lutter contre l’inertie de ce qu’il nommait l’Etat profond.
Tout autant, si Macron a été incapable de créer un parti autour de lui, condition nécessaire à sa réélection, c’est par défaut de colonne vertébrale, de ligne politique qui puisse être déclinée et conjuguée par tout un appareil et adaptée aux circonstances.
Macron était seul, il l’est resté, et cette solitude lui a interdit de réunir un courant de pensée. Dans un premier temps, il était trop complexe, depuis fin 2019, il est devenu girouette soumis au gré des circonstances et des interlocuteurs à un discours convenu, mais vide.
Les militants peuvent se ranger derrière un chef charismatique à défaut d’être porteur d’une idéologie claire, mais avec le Macron d’aujourd’hui, ils n’ont ni l’un, ni l’autre.
Pour l’heure, l’actuel Président est considéré comme un pis-aller, ainsi que Jacques Juilliard l‘exprime dans un article récent, mais tant que tous les acteurs de la future présidentielle ne seront pas connus, les considérations tenant aux personnes resteront hasardeuses.
Il est cependant des constantes à ne pas perdre de vue. Depuis 1965, l’exécutif au pouvoir effectif qui était parfois le Président, parfois le Premier Ministre, n’a pas été reconduit. Sauf à éblouir les Français par une gestion sans faute de sortie de la pandémie, et c’est tout le mal que l’on peut souhaiter à la France, Macron ne part pas favori pour un second mandat.
Il ne lui suffira pas de se lever à 3 heures du matin pour enfoncer les portes ouvertes de condamnation des violences anti-démocratiques aux Etats-Unis, parce que tous les despotes se disent défenseurs de la démocratie, et que dans leur immense majorité, les français ne se soucient que modérément de ce qui se passe à Washington.
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