Macron, le disruptif, disrupteur malgré-lui
- André Touboul
- 21 mars 2022
- 6 min de lecture

Emmanuel Macron aura conduit le régime de la Vème République au bout de sa logique.
La Constitution voulue par le Général De Gaulle pour échapper à l’immobilisme et l’impuissance qu’il attribuait à ce qu’il qualifiait de « régime des partis » devait être la rencontre d’un homme et d’un peuple. Ces coups de foudre se produisent parfois, mais comme les poissons volants, elles ne sont pas la majorité du genre. Et quand cela se produit, le Général l’a lui-même constaté, cet état de grâce ne dure pas.
« Si Dieu me prête vie, et que le peuple m’écoute », disait-il. Et il exigeait un « oui, franc et massif ». En 1969 ce fut, contre lui, un « non !».
L’état de grâce présidentiel désormais dure trois mois. Ce qui n’a pas été fait dans les cent premiers jours du règne ne se fera pas. « Après moi, ce sera le trop plein », aurait encore dit De Gaulle, il parlait de la quantité, pas de la qualité.
Sans parler des autres, le pire fut Mitterrand qui s’est accommodé d'une Constitution qu’il avait qualifiée de coup d’Etat permanent. On se plait à le répéter avec un sourire entendu. Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi plaisanter. Ce revirement est la marque d’un cynisme, ou même pis, d’une absence de morale politique qui aurait dû disqualifier le personnage.
Il ne suffit pas d’être élu au suffrage universel pour « rencontrer le peuple ». Les circonstances, le choix par défaut, sont le lot le plus commun de l’élection. La rencontre se fait parfois après coup, longtemps, comme avec Georges Pompidou, le plus regretté des Présidents qui, lui, ne voulait pas emmerder les Français.
La cohorte de Présidents qui a succédé au fondateur de la Vème n’a pas été la preuve que la rencontre d’un homme et d’un peuple pouvait être autre chose qu’un accident de l’histoire. La destinée d’un peuple ne peut être durablement confiée à une telle anomalie.
Faute d’être des monarques au charisme flamboyant, les Présidents ne pouvaient que détériorer la fonction et livrer la France à d’autres dirigeants.
Dans le sillon tracé par De Gaulle, ennemi de la démocratie représentative, régime qui n’existe qu’exceptionnellement quand elle se limite à un seul homme, les élus ont continué a être la cible de la vindicte médiatique : tous pourris, tous incapables… il fallait les punir, leur interdire de cumuler les mandats, en faire des intermittents… et pis que tout les moraliser par la loi, tant il était admis que la vie politique était immorale.
Seule l’Administration (la haute) a échappé à cette épuration. A tous points de vue, elle a su préserver ses acquis. Elle a joué sur le mythe de sa compétence, son mérite sans égal, sa force d’avoir toujours raison, et sa permanence. Elle s’est tenue indemne de toute responsabilité. Elle a fait de la France un Etat moderne, mais aussi omnipotent et omniprésent. Elle a ainsi pris possession du pays, de ses grandes entreprises, industrielles et financières, par la main de l'Etat.
Pendant des décennies les Hauts fonctionnaires ont pris les décisions qu’ils ont fait endosser aux politiques. Cette situation hypocrite exigeait qu’il n’y ait pas d’épreuve de vérité. C’est donc par des méthodes palliatives que cette élite d’Etat a géré la France. Un problème, une allocation. A chaque pas, un impôt nouveau. Puis la fuite en avant de la redistribution, et l’endettement, car inévitablement l’impôt tue l’impôt.
En 2017, cette situation est parvenue à sa limite. Il fallait congédier les politiques, la Gauche et la Droite, en les chargeant de toute la responsabilité du Grand Déclassement. Il n’y avait pas d’autre solution que d’assumer le pouvoir en direct. L’imposture consistait à faire croire qu’il suffisait de prendre le meilleur de la Droite et de la Gauche pour faire de la bonne soupe, et que eux, les technocrates, puisqu’ils étaient les plus intelligents, les plus brillants, ils savaient faire le tri.
Le choix d’Emmanuel Macron qui se disait « en même temps de Droite et de Gauche », devait assurer cette exercice paisible du pouvoir et la jouissance de ses délices.
Hélas, les faits ont toujours raison des plans construits sur du vent. Au lieu de resplendir, l’élite d’Etat a fait comme le singe qui montant à l’arbre montre que son derrière n’est pas bien propre.
De sa prétendue compétence, il n’est apparu qu’une incroyable capacité d’inertie, de résistance et de sabotage. Soudain la France a découvert l'entre-soi d'une classe dirigeante qu'elle ignorait et qui ne la connaissait guère.
Contaminé par son cursus dans la haute finance, Emmanuel Macron, en a retenu les méthodes. Au lieu de soutenir ses pairs, il les a mis en accusation, supprimé leur école, il a défait le système des Grands Corps, remis en cause les carrières. Mais surtout, il a poussé à l’extrême le recours aux conseils extérieurs.
Depuis des années, on avait créé des organismes ad hoc parallèles. Haute Autorité de ceci, Haut Conseil de cela. Certes l'on y trouve moult fonctionnaires, mais décalés par rapport à l'Administration. Le mouvement de défiance par rapport aux services de l’Etat était engagé. Le Président Macron en a fait un système de gouvernement. La gestion de la pandémie en est l’illustration. Au lieu de se faire conseiller par l’Administration, il a créé une instance ad hoc, puis il a confié le dossier à un cabinet privé.
Le cabinet McKinsey ne mérite aucun reproche particulier, il a joué son rôle de conseil. Il a accompli sa mission qui comme dans les entreprises est d’expliquer pourquoi l’organisation existante « coûte un pognon de dingue », et dire comment faire autrement.
Ce fait est révélateur de l’évolution d’un système. La vérité n’est plus dans la bouche des élus, elle a déserté celle des fonctionnaires, elle réside désormais dans les compétences privées externes, réelles ou supposées. En effet, le choix des cabinets conseils, en principe sur appel d’offres, est en réalité le résultat de rapports personnels entre les commerciaux de ces entreprises et l’Etat.
Au delà des cabinets conseils, il n’y a plus rien. S’en remettre à ceux-ci pour gérer les affaires humaines est l’assurance de l’échec. En effet, sauf à exercer un pouvoir totalitaire, les décisions politiques doivent avant tout être acceptées, ce qui est le travail des corps intermédiaires et des élus. « Emmerder » ceux qui ne les comprennent pas ou les rejettent rend caducs les meilleurs calculs sur le papier.
Dans la conjoncture actuelle, le seul responsable de tout ce qui ne va pas, et il y en aura de plus en plus, si l’on considère la situation internationale, sera le Président. Il est douteux qu’il puisse se maintenir ou simplement prolonger le régime de la Vème. Emmanuel Macron aime bien répéter qu’il assume, il n’en aura désormais plus le choix, et souvent l'occasion. On peut prédire que la prochaine crise politique aura pour issue nécessaire l’élection d’une nouvelle assemblée constitutante. Les quatre Constitutions précédentes à la Vème avaient été élaborées par des parlementaires élus. Celle qui régit la France aujourd’hui aura été octroyée, c’est à dire rédigée par un seul et ratifiée par référendum. L’évolution qu’elle a connu par la suite loin de la rendre plus démocratique, a accentué la distance entre le peuple et l’exécutif, lui-même confisquant le pouvoir législatif. Ce hiatus entre un Président de moins en moins "légitimé" par une onction massive de suffrage universel, de plus en plus seul, réunissant tous les pouvoirs, est en soi un explosif mèche courte.
Mélenchon, en vieux renard politique, fait défiler « pour la VIème République », on aurait tort de prendre cet appel à la légère. De son côté, Emmanuel Macron montre sa faiblesse en s’offusquant du constat de Gérard Larcher, Président du Sénat, sur l’illégitimité d’un Président élu sans débat, sur un programme « à préciser après l’élection ».
Paradoxe de 2022, les Français qui sont obnubilés par la crainte de voir se déclencher la troisième guerre mondiale, auront voté ou se seront abstenus, selon leur tempérament, pour que rien ne change. Ce sera bien la première fois qu’un Président sera élu sans promesse de changement, ou de rupture… en apparence, car le choix de maintenir Macron est en fait la garantie d’un changement radical. On qualifie souvent Emmanuel Macron de disruptif, il sera sans doute cette fois un disrupteur malgré lui.
Il n’est cependant pas impossible qu’une surprise de dernière minute change la donne. Bruno Le Maire qui n’est jamais à cours d’une déclaration imprudente s’est exprimé en ces termes : « Mac Kinsey paiera ce quelle doit à l’Etat ». Cela est on ne peut plus ambigu, car veut aussi bien dire que la société a fraudé, ou que selon la loi fiscale elle ne doit rien. Cette fébrilité montre que le sujet est sensible, l’exécutif supportant mal d’être mis à nu dans sa politique qui consiste à transférer à des sociétés étrangères la mission de définir les options stratégiques de réorganisation de l’Etat français.
Emmanuel Macron pourrait, dans les prochains, jours être « malussé », comme disent les compagnies d’assurance, par l’affaire des cabinets conseils. Valérie Pécresse, en conséquence, serait à même de reprendre des couleurs à son détriment.
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