Mélanchon et la mauvaise République
- André Touboul
- 14 mai 2023
- 8 min de lecture

On hésite à commenter les mélanchonades qui alimentent les médias, plus que de raison. Leur complaisance serait difficile à expliquer si les ondes et les écrans n’étaient peuplés d’une majorité de sympathisants d’une gauche rétrograde, elle-même dépourvue de sens de l’orientation, et voit dans le Grand Insoumis, la lumière dans leur tunnel.
Evidemment, le risque de s’exprimer sur Mélanchon est d’ajouter au battage intensif autour d’un individu moins talentueux qu’on le répète et plus décalé qu’on le dit. Cependant, ce phénomène ébouriffant et horripilant, bien qu’artificiel, est devenu un fait politique, car nombreux sont ceux qui, comme lui, sans être avec lui, posent la question de la Sixième République.
Aux Etats-Unis, le Président prête serment en jurant de protéger la Constitution, la main sur la Bible. Ce texte sacré, qui est néanmoins parfois amendé pour s’adapter aux changements du monde, est le fondement de la nation qui se voulait celle du Nouveau Monde, et elle constitue l’écrin du rêve américain. Cette pérennité tient beaucoup au fait que les Américains croient que les institutions valent ce qu’en font les hommes.
Les Français, qui sont convaincus que les institutions peuvent modifier radicalement la nature humaine, ne cessent de changer de constitution. C’est ici que sont nées les utopies socialistes, les Louis Blanc, les Proudhon, et autres qui ont forgé l’imaginaire politique. Les théoriciens français des institutions ne font pas confiance à la nature humaine, ils misent tout sur la qualité et la force de la loi. Pour JJ Rousseau de bonnes institutions sont celles qui rendent les citoyens vertueux. Les institutions républicaines définies dans le Contrat social sont intrinsèquement pérennes, parce qu’elles parviennent à faire naître chez les citoyens un attachement aux lois qu’ils sont alors prêts à défendre contre tout ce qui les menace.
Alors que tous les philosophes des Lumières s’accordent à reconnaitre que la stabilité des institutions est un bien, il faut constater que les moyens pour y parvenir diffèrent.
Depuis la Révolution, on compte en France cinq républiques, deux empires, deux systèmes monarchiques, et quelques régimes intercalaires.
La République est, pour nous aujourd’hui, un autre nom de la démocratie, D’autres pays démocratiques s’accommodent d’une monarchie, mais celle-ci est symbolique, au plus identitaire, elle est sans pouvoir ni incidence politique. Marianne joue ce rôle en France, avec l’avantage, étant immortelle et parfaite, de ne pas encombrer les esprits de potins colportés par les gazettes. Il est vrai que tous le peuples n’ont pas la même faculté d’abstraction, plusieurs ont besoin d‘une incarnation du principe supérieur qui soude leur nation.
Au delà du principe général d’appartenance qui lie un peuple, l’expression de la manière dont il est vécu est défini par sa constitution.
Si l’on met à part le Royaume-Uni qui ne s’est pas donné de texte écrit, et vit sur des principes et des précédents dont il revient à un corps de magistrats indépendant d’apprécier le respect, tous les pays, même les moins démocratiques, prennent soin de rédiger leur constitution.
Cette loi supérieure, qui ennonce les principes de gouvernement, mais aussi les valeurs que le peuple souverain s’interdit de transgresser sans d’infinies précautions, est l’expression de la personnalité d’un peuple.
La Constitution des Etats-Unis a 236 ans. Quand des furieux ont marché sur le Capitole en 2020, le cœur des Américains s’est, un instant, arrêté de battre. La réprobation fut unanime. Là-bas, on ne plaisante pas avec les institutions.
Dans les temps bousculés que traverse la France, où tout ce qui représente l’Etat est par certains désigné comme à abattre, et où d’autres appellent à une Sixième République, il ne serait pas, pour cette question, inutile de s’inspirer de l’exemple américain.
Certes, la Constitution que se donne un peuple ne peut être immuable, elle doit s’adapter aux nécessités de l’histoire. Mais, toujours, il ne faut y toucher qu’avec la main qui tremble.
La constitution qui, en France, a duré le plus longtemps est, à ce jour, celle, en cours, dite de la Cinquième République, soit 65 ans, alors que la Troisième qui a vécu de 1879 à 1940, n’a atteint que 61 ans.
L’histoire de France va depuis 1789, en zig-zag, de révolution en révolution, au lieu de se contenter d’évoluer. Ce parcours chaotique tient à la vieille idée qu’il suffit de changer la loi fondamentale pour que, comme par magie, tous les problèmes insurmontables en l’état, soient subitement résolus. Quand Jean-Luc Mélanchon parle de « Mauvaise République », il ne fait rien d’autre que ressusciter cette croyance utopique de la toute puissance magique de la loi, non pour canaliser, civiliser, la nature des hommes, mais la modifier.
Cette vision, pour être concevable, est pourtant bancale. Si la loi façonne la nature humaine, la mauvaise loi rend inévitablement les hommes mauvais. Ainsi quand il parle de « Mauvaise République », Mélanchon signifie « mauvais français ». On retrouve dans la bouche de ce tribun un mépris foncier pour le peuple tel qu’il est. C’est sans doute ce qui explique son audience auprès des étudiants de Sciences Po qui ont tendance à se prendre pour politiquement supérieurs à la population qu’ils se préparent à diriger
La théorie de la « mauvaise république », implique celle de l’Etat mauvais, du gouvernement mauvais, de la police mauvaise.
Quand Mélanchon, pour justifier la violence de rue, tweete « la police tue », on se prend à sourire en pensant qu’il préfère sans doute les polices du russe Poutine ou du vénézuélien Nicolas Maduro, des démocrates selon son cœur. Mais, quand on songe à l’impact de ses paroles sur des esprits encore en formation, on est bien obligé de le prendre au sérieux, et contraints de lui opposer les limites de la loi démocratique.
Non, Mélanchon n’est pas seulement un théoricien utopique passablement clownesque, c’est aussi un délinquant. En effet, il outrepasse gravement les limites de la liberté d’expression. Il est certes permis dans notre République de critiquer les institutions, même celles qui vous protègent et vous permettent de vous exprimer. “Pensée unique, pensée inique” est une maxime fondamentale de la démocratie. Cependant, l’incitation à la haine et la provocation à la violence restent des délits. L’excitation à la haine des policiers qui ont droit à la protection de la loi, tombe sous le coup du code pénal. De même, est punissable le fait de provoquer les délits que sont les violences des casseurs.
Dans une République bienveillante et bonne enfant comme la nôtre, on tolère les écarts d’un Mélanchon et de ses émules. Mais il est de plus en plus clair que l’on a tort. L’attitude de ces ennemis de la République, telle qu’elle est, qui appellent au déferlement populaire est en fait de l’appel à la sédition. On appelle sédition une révolte violente, plus ou moins spontanée, d'une partie de la population, contre le gouvernement. L’article 412-3 du Code Pénal dispose que « le fait de diriger ou d'organiser un mouvement insurrectionnel est puni de la détention criminelle à perpétuité et de 750 000 euros d'amende ».
L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que : « Seront punis comme complices d'une action qualifiée
crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, …… auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la
provocation a été suivie d'effet ».L’article 24 de la même loi prévoit pour les coupables une peine de cinq ans d’emprisonnement et 45.000€ d’amende.
On ne peut affirmer que Mélanchon et les LFI dirigent ou organisent directement de tels mouvements, mais il est évident que leur politique tend à ce résultat qu’ils ne se cachent pas d’espérer et d’appeler de leurs voeux. Que l’on nomme Révolution ou Grand Soir, ce chambardement, c’est bien la République qu’il s’agit de mettre à bas. Or l’état de droit républicain est consubstantiel à la France, enfreindre l’un est renier l’autre. Il n’y a pas d’infraction juste ni d’insurrection légitime dans un régime de liberté. Ce comportement est plus toxique que celui d’un Trump qui en contestant le résultat d’un vote et fait marcher ses partisans sur le Capitole, reste néanmoins dans le cadre des institutions qu’il ne s’agit pas d’abattre. Trump veut le pouvoir, pas la révolution.
Quand certains syndicalistes n’hésitent pas à proclamer leur volonté de « mettre la France à genoux », sans provoquer de scandale, on voit qu’il existe désormais une situation où des ennemis intérieurs de la République tentent de prendre le pouvoir par la force en profitant de la démission de l’Etat et de la complaisance des médias, plus inconscients que complices.
Le danger d’un coup d’Etat à la faveur d’une chienlit déstabilisatrice n’est plus théorique. Certes les trublions gauchistes ne disposent pas de moyens militaires qui leur permettraient de s’imposer, et la pagaille tournera vraisemblablement en faveur de la droite extrême, mais le risque de voir s’effondrer notre République trop conciliante avec ses ennemis, qui sont, eux, les mauvais Français existe bel et bien.
Il est urgent que le Président de la République siffle la fin de la récréation en rappelant, comme le fit de Gaulle en 1968, que la bonhommie de l’Etat a ses limites, et qu’il est temps de respecter les règles de droit : la critique, oui, l’appel à l’insurrection, non ! Ce serait un avertissement sans frais, mais nécessaire. Discipline, donc, mais aussi patriotisme.
Ce serait en effet l’occasion d’une sortie de l’immobilisme par le haut. Un réveil du patriotisme qui est une vertu bien oubliée de nos jours. Emmanuel Macron devrait rappeler que si les Français veulent conserver un régime politique de libertés qui promeuve l’égalité et chérisse la fraternité, il est temps que leur patriotisme soit de retour.
Aujourd’hui, le patriotisme n’est plus militaire. Il le redeviendra peut-être, mais pour l’heure, il n’est qu’économique. A cet égard, les déserteurs sont légions. Sans vergogne, les entreprises ont délocalisé pour gagner quelques centimes au kilo. Sans hésiter, les consommateurs ont chaque jour économisé quelques sous aux caisses des hypermarchés.
En achetant des produits fabriqués à l’autre bout du monde par une main-d’œuvre, pas toujours adulte, et souvent privée de liberté, tant les entreprises que les ménages ont simplement déplacé l’exploitation du travailleur, un spectacle intolérable chez eux. On se donne bonne conscience en observant que cela a permis à une grande partie de l’humanité de sortir d’une misère absolue. La vraie raison reste que la sueur que l’on ne voit pas n’a pas d’odeur.
Ces comportements fondés sur l’égoïsme du porte-monnaie ont contribué à déclasser le pays. Mais le plus grave est qu’ils ont fait disparaitre une part de l’identité française, celle de la fiérté patriotique.
Cette démission des responsabilités collectives, s’est aggravés par le système de redistribution hors normes, mis en place pour anesthésier les masses populaires. Devenue assistanat, cette forme de justice sociale, au lieu de conforter la solidarité, a promu les égoïsmes catégoriels. Chacun pour soi, et tout pour moi.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le peuple français se montre hostile à la moindre contrainte, au moindre effort. Et tant pis si de ce nombrilisme se fait aux dépends des générations suivantes. Les mauvais Français d’aujourd’hui sont des cigales qui font payer la note à leurs petits-enfants. Cela se fait sans remords, car seul le temps court compte.
Le déficit de vision à long terme est excusable chez le citoyen lambda, il est fatal chez les intellectuels, les médias et les politiques dont c’est la mission commune d’éclairer le chemin.
Or, ils n’en font rien. Bien pis, ces « responsables » se contentent de suivre l’opinion publique comme une girouette suit le vent. Ce sont les déserteurs du temps présent. Si Marianne pouvait parler, elle les qualifierait de mauvais Français. Avec plus d’indulgence, on dira que c’est le retour de la démagogie, ce mal qui ronge en permanence toute démocratie, auquel il faut bien de la vertu pour ne pas succomber.
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