OK, Boomer ? Oui OK, pas KO.
- André Touboul
- 17 mars 2024
- 4 min de lecture

C’est une génération d’après guerre, que leurs géniteurs ont conçus dans l’euphorie de la Libération, en France, et aussi dans le Monde occidental libéré du nazisme.
Dans cette courte période où la Guerre froide ne s’était pas encore déclarée, l’optimisme régnait, avec les images du rêve américain, pour les arts ménagers et l’automobile, et le miroir aux alouettes du marxisme détenteur d’une morale indiscutable. Les nouveaux nés arrivaient en rangs serrés dans l’univers composite de Maryline Monroe et Jean-Paul Sartre.
Ils furent les enfants d’un mixte schizophrénique, car aux Etats-Unis les individus connaissaient les violences du capitalisme libéral, et en URSS, on faisait la queue devant des magasins vides du fait de l’incurie d’une bureaucratie totalitaire.
Les Boomers, ainsi nommés car ils formaient la vague démographique du Baby boom, ont bousculé toutes les vérités antérieures par le simple effet d’une masse que la société n’était pas préparée à absorber. L’interdiction d’interdire, ici, les Baba cool, là-bas, étaient l’écume d’une déferlante qui ne savait pas à quel point elle était incohérente. Elle rêvait d’Hollywood, mais prenait ses consignes morales à Moscou. Elle jouissait du capitalisme libéral, que par ailleurs elle vilipendait au nom de la justice sociale. Les Boomers, révolutionnaires de Mai 68, ne trouvaient pas absurde de fumer de gros cigares cubains, alliant l’image du patronat financier à celle du Communisme le plus étroit. Ce n’était pas une synthèse, mais un dédoublement de personnalité.
Ce grand écart leur a permis de se glisser dans les délices d’une Europe en paix et d’en percevoir les dividendes. Le gendarme américain s’occupait alors de la guerre dans le reste du monde, allant de défaite en désillusion, car là où il pensait apporter les lauriers de la démocratie et de la liberté, l’Oncle Sam ne récoltait que les orties de l’hostilité de peuples trop éloignés de ces idéaux de riches pour les faire leurs.
Hors des réalités d’un monde cruel, l’univers des Boomers est devenu celui des Bisounours. « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » ricanait Jean Yanne.
La mondialisation, civilisation nouvelle où le commerce était sensé adoucir les mœurs, les Boomers n’y ont pas vu de danger. Ils se sont laissés bercés par ses facilités. Consommer toujours plus, travailler toujours moins, et tant mieux si l’industrie polluante et pénible se délocalisait. Tant pis si l’impôt étranglait l’économie. Quand la fiscalité a atteint ses limites, l’on a tiré des traites sur l’avenir en augmentant la dette publique pour une redistribution conçue comme la seule réponse anesthésiante aux revendications sociales.
Consomme et tais-toi ! Tel fut leur idéal politique.
Sur le point de passer la main, ou, comme l’on dit, l’arme à gauche, les Boomers se rendent compte qu’ils vont léguer des dettes. Ils voient qu’ils ont usé et abusé des ressources de la Planète. Ils ont vécu dans des pays plus propres pour leur progéniture, mais s’implement en déplaçant la pollution. Archétype de l’homme occidental blanc de peau, le Boomer est rendu responsable par les procureurs de la morale nouvelle de tous les maux de l’Humanité. Ce réquisitoire est prononcé par des jeunes gens, voire des enfants telle la petite Greta Tunberg. « Fripon d’enfant, cet âge est sans pitié », écrivit La Fontaine dans la fable des deux pigeons qui s’aimaient d’amour tendre.
Les Boomers ? Ils vivent plus longtemps et en meilleure santé, mais dans quel état vont-ils laisser le monde ? Ce procès est devenu le mantra d’une jeunesse revendicatrice et souvent vindicative.
Cette jeunesse compte pour rien la démocratie, à laquelle elle est accoutumée. Ses membres sont tellement occupés à dénigrer leurs ainés qu’ils oublient que l’égalité des sexes et l’antiracisme sont des conquêtes des Boomers, comme la décolonisation. Pour ces enfants gâtés, ce n’est jamais assez. Ils inventent du machisme, là où il n’est pas et refusent de le voir là où sévit encore un patriarcat féroce. Ils racisent tout en croyant être antiracistes, et voient de la colonisation partout, surtout là où elle a disparu.
L’idée de progrès, qui a habité les rêves des Boomers, est aujourd’hui ramenée à celle d’une revanche.
Certes, les sujets d’inquiétude sur l’évolition du monde ne manquent pas. Mais Gianbatista Vico l’a théorisé à la Renaissance, l’Histoire ne suit pas un cours continu. Il existe des “corsi i recorsi”, des hauts et des bas, cependant il est stupide de ne pas capitaliser les progrès, au prétexte qu’ils ne sont pas assez rapides ou qu’ils rencontrent des vents contraires.
La pire des attitudes face à la question de la civilisation est de négliger l’importance de la transmission. Tout n’était pas mieux avant, mais tout rejeter du passé est un pas vers le gouffre de la sauvagerie.
La lutte des classes étant démodée du fait de la disparition technique du prolétariat, il est criminel de lui substituer la lutte des races, comme il est inconscient de reconstituer un prolétariat d’immigrés formant une main-d’oeuvre bon marché, qui plait au patronat, mais constitue une bombe à retardement sociale.
Le monde des Boomers est bourré de défauts, mais tous ceux qui n’y sont pas nés veulent venir y vivre. Cela devrait faire réfléchir les dénigreurs de notre civilisation.
La démocratie porte en elle les germes de sa propre destruction. Ils la sabotent quand les principes de liberté qui la fondent sont détournés en abus de droits sans égard pour les devoirs. La vertu citoyenne est faite de devoirs, cela les Boomers ont, il est vrai, omis de l’enseigner à leur progéniture.
La société de consommation purement matérialiste est un piège que les Boomers n’ont pas su baliser, tant ils étaient obnubilés par le vouloir d’achat. Ce passif a fait perdre de vue que la frugalité n’est pas la rigueur, et moins encore l’austérité, mais une attitude raisonnée en fonction des réalités de l’environnement. Leurs enfants-rois préfèrent aujourd’hui vivre à crédit, c’est-à-dire reporter sur les générations suivantes la charge de leurs caprices immédiats. De la liberté que leur ont léguée les Boomers, ils usent et abusent, oubliant, car ils ne l’on jamais appris, que tout se mérite.
Pour fermer ses oreilles aux conseils de la génération qui s’en va sur la pointe des pieds, celle qui vient a inventé une formule ironique : Ok, Boomer ! Mais n’en déplaise à la génération montante qui porte le wokisme, l’écologie punitive, la décroissance et autres balourdises, les Boomers sont OK et pas KO. Il serait sage de prêter attention à leur expérience si imparfaite soit-elle.
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