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Où sont passés les Français ?

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 1 mai 2023
  • 5 min de lecture



On a peine à le croire. Le « cher vieux pays » comme l’appelait Charles de Gaulle, cette nation que tant de rois ont faite, avec patience et obstination au cours des âges, la patrie de Voltaire, Diderot et Victor Hugo, serait désormais celui d’un peuple immature.


La France éternelle parait aujourd’hui habitée par des assistés qui réclament la becquée de l’Etat, s’étonnent qu’on leur demande le moindre effort, se mettent en colère en tapant du pied par terre ou sur des casseroles. Ils ne veulent rien entendre. La raison les offusque, eux qui sont les descendants des philosophes des Lumières. Il semble que le grand remplacement de la douce France par celle des Blacks bloc, des brailleurs et des casseurs soit advenu. Mais surtout, ce sont les imbéciles du verbe qui ont pris le pouvoir.


On le qualifiait de Dieu, quand François Mitterrand fut réélu en 1988. Le Bébête Show, mettait en scène Kermit la grenouille, son avatar, qui jurait à coup de « Bordel de moi-même ! », il marchait sur l’eau. Réélu en 2022, Emmanuel Macron est désigné comme un diablotin malfaisant. Ce ne sont pas les Français qui sont inconstants, ce sont leur maîtres penseurs. Ils leur rappellent sans cesse la Révolution dans ce qu’elle a de plus violent, mais c’est de résolution dont manquent les temps présents.


A longueur de plateaux télé, et d’ondes hertziennes, les petites personnes qui ont le droit de causer dans le poste, pratiquent le matraquage que les anglo-saxons appellent « bashing », et que l’on pourrait qualifier de lynchage médiatique. S’ils s’en tenaient à Macron, on pourrait leur concéder un droit à dénigrer au titre de la libre parole. Mais ces gens-là s’en prennent aux institutions, ils diagnostiquent une crise démocratique, et de la paralysie, ils font un fatal présage.


Mitterrand, encore lui, désignait ces aboyeurs publics comme des chiens, quand, après le suicide de son vieux et fidèle serviteur, il laissa parler son cœur. C’est le goût du sang qui meut la meute. Elle se précipite au moindre signe de faiblesse. L’animal blessé les rend hystériques. Les victimes du jour sont, bien entendu le Président, élu par un suffrage universel désuniversalisé, c’est-à-dire découpé en segments pour être délégitimé. Mais, par le fait, ce sont la démocratie et la République dont les institutions ne sont plus reconnues.


Ces jours-ci, le premier coup a été porté par les sondeurs. Ces manipulateurs d’opinion ont décidé que 70% des Français étaient hostiles à la réforme des retraites Macron. Leur espoir était de rééditer l’affaire des Gilets jaunes. Ces gens-là sont habiles. Ils ont compris que les Français sont plus faciles à mobiliser sur des questions de détail que sur des sujets de fond. Les 80 Km/h ou les 64 ans paraissent à nos voisins en Europe des futilités, c’est d’ailleurs ce que sont ces mesures d’ajustement à la marge.

C’est en partant de ce raisonnement que les sondeurs ont sondé. Cependant, quoique l’on dise, la jacquerie des Jaunes gilets n’a duré que par la tolérance des violences qui faisait de chaque samedi une distraction pour des casseurs en mal de pillage. Du Grand débat qui a suivi, il est résulté que les Français étaient excédés d’être administrés par des énarques aussi irresponsables qu’incompétents. La suppression des Grands Corps et de l’ENA, en a été l’une des conséquences que les sociologues oublient. Certes, Emmanuel Macron l’avait promis, mais ce Tour de France en profondeur l’a conforté dans cette analyse.


L’affaire des 64 ans est d’autant plus puérile que chacun est déjà convaincu que la vraie perspective raisonnable est celle de 67 ans, si l’on veut éviter une paupérisation des retraités. Les médias et le patron de la CFDT se sont enferrés sur un refus catégorique des 64 ans, comme étaient rejetés les 80 Km/h. Sur ce dernier point, il y a eu des aménagements, mais globalement la mesure est entrée dans les mœurs. Il en sera de même pour les 64 ans qui seront, bien entendu, modulés et balancés par des mesures spécifiques.


La tentation est forte de rechercher ce qui se cache derrière la bronca sociale. Les sociologues proposent d’expliquer le rejet des 64 ans par une désaffection pour le travail, née pendant le confinement Covid. Ne pas perdre sa vie pour la gagner. La formule cingle, mais elle est stupide. En effet, sans travail, il n’y a pas de vie. Bien sur, la consommation à outrance et le culte du pouvoir d’achat ne sont pas des vaches sacrées auxquelles on doit tout sacrifier. Mais il faut bien produire, donc travailler, pour satisfaire les besoins fondamentaux.Le logement, la nourriture, l’habillement, ces nécessités doivent être couvertes avant de songer à tout loisir. Elles ne le sont pas sans travail. Sauf à rétablir l’esclavage d’un sous-prolétariat d’immigrants, le travail reste la clé de toute vie sociale. Les enfants gâtés ont des exigences contradictoires, de même, on veut plus d’argent et moins de travail, comme si celui-ci allait se faire tout seul. On ne peut pas, à la fois, vouloir moins travailler et refuser toute immigration.

Une fois de plus, on importe des Etats-Unis un fait conjoncturel, la grande démission post-covid, et l’on en fait un concept philosophique. Dans quelques mois les Américains seront passés à autre chose, comme ils tournent la page Woke, mais ici les ratiocineurs continueront à agiter des lunes de carton pâte qu’ils prennent pour des soleils.


Qui rappelle aujourd’hui que le méchant Macron est le seul à avoir renversé la courbe du chômage, contre qui l’on avait tout essayé en vain (encore Mitterrand) ? Il serait temps de se demander comment il y est parvenu, pour éviter de retomber dans les erreurs du passé, plutôt que de chipoter sur sa manière d’exercer le pouvoir, au demeurant assez courageuse puisqu’il assume et n’use pas de la pratique du premier Ministre fusible.


Ne demandez pas où sont passés les Français, ils sont toujours là. Seulement comme à leur habitude, ils polarisent leur inquiétude foncière sur des détails laissant à ceux qui les gouvernent le soin de les trouver révélateurs. En vérité, le changement les effraye, cela signifie peut-être que tout ne va pas si mal, mais surtout qu’ils ne veulent pas affronter les problèmes de fond.


La témérité d’Emmanuel Macron ne va pas jusqu’à mettre sur la table la seule vraie réforme vitale pour la France : celle de la suppression du statut de la fonction publique. Ce totem est tabou. Telle est pourtant la solution pour mettre fin à la gabegie des fonds publics et réduire la dette. C’est ainsi que les Suédois y sont parvenus, et ont prouvé que par là-même on pouvait améliorer les services publics. En effet, outre le coût exorbitant qu’induit le sacrosaint statut, il sclérose l’Administration en freinant ses adaptations.


A en juger par les réactions sur des points mineurs comme les 64 ans, on dit qu’évoquer la question du statut des fonctionnaires serait l’assurance d’une révolution. Rien n’est moins sûr. En politique, les non-dits sont plus toxiques que les plaies ouvertes. Macron, sans doute, n’abordera pas ce débat essentiel, mais ce sera inévitablement la charge de qui lui succédera.


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