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Panique en cuisine électorale

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 10 mai 2021
  • 4 min de lecture






Les bons cuisiniers savent choisir les ingrédients, les doser et les utiliser avec art. Les plus grands ont le génie d’exhausser les saveurs, les plus habiles ont le don d’accommoder les restes.


La politique est une forme de cuisine qui demande les mêmes talents.


Emmanuel Macron avait su magistralement se vendre à l’électeur, disait-on en 2017, et on le créditait de quatre étoiles au Michelin de la haute gastronomie électorale. Certains esprits chagrins, allergiques à sa startup nation, lui reprochaient néanmoins de faire du fast food, plus que du Paul Bocuse.

En réalité, le Président fut moins un prodige de talent personnel que le fruit d’une tambouille électorale à l’ancienne. L’élite d’Etat l’avait adoubé à défaut de son champion Alain Juppé, mis hors de combat par la primaire de la droite et du centre. Elle avait organisé deux naufrages, celui de Hollande et celui de Fillon. Son opportunisme a surtout consisté à s'introduire dans une avenue bien dégagée à son intention. Lui-même, au demeurant, reconnaît avoir accédé au pouvoir suprême « par effraction »,. Et il est vrai qu'il n’avait jamais auparavant été candidat à quelque élection que ce soit.


C’est donc un néophyte qui est aux fourneaux depuis quatre ans. Ni son audace, ni son intelligence n'ont suffi à lui conférer un savoir faire en la matière. Car la politique ne s'invente pas, elle s'apprend en allant aux charbon.

Depuis son intronisation, Emmanuel Macron a démontré qu’il n’entendait rien en cuisine électorale. Il a accumulé les ratés. D’abord en échouant à constituer un parti présidentiel. Certes les Marcheurs ont obtenu une majorité à l’Assemblée Nationale dans la foulée de la présidentielle. Mais ce mouvement n’a jamais pu être converti en parti politique. Sans doute faute de doctrine facile à décliner, la pensée complexe macronienne étant impossible à prévoir et donc à conjuguer et à justifier. Les municipales ont démontré que si Macron était présent au sommet, les macronistes n'existaient pas dans le paysage politique.


Sur l’échiquier des municipalités, il a connu des défaites majeures. En soutenant Gérard Colomb à Lyon, et "en même temps" son rival, il a perdu l'appui d'un vieux grognard, mais aussi Lyon qui est désormais aux mains d’un écologisme délirant. A Paris, où il bénéficiait d’un large capital de votes, il l’a dilapidé, carbonisant au passage la malheureuse Agnès Buzyn, ce qui permit à Anne Hidalgo de conserver la mairie. L’habileté politique aurait été, après le flop Griveaux, de pactiser avec la droite. Mais nouer des alliances politiques est une qualité qui lui est étrangère. Dynamiter là où faudrait séduire, telle est sa nature. Contre tout bon sens, il l’emploie pour conquérir l’électorat de droite. Et évidement, la mayonnaise ne prend pas.


En PACA, la pantalonnade d’un accord-débauchage avec Muselier a tourné court, au détriment des deux parties. LR et LREM n’ont fait que renforcer les chances d’un RN plus redoutable que jamais.


Dans les Hauts de France, lâcher le sanglier Dupond-Moretti, aussi débutant que peu subtil en politique, fait courir le même risque de victoire du parti de Marine Le Pen. A supposer qu’il puisse se maintenir au second tour, l’avocat sera, en outre, placé devant un cruel dilemme : se retirer au profit de Xavier Bertrand, ou renoncer à faire barrage à l’extrême droite, enterrant six pieds sous terre le front républicain.

La victoire du parti paria dans une ou deux régions constituerait un tsunami politico-médiatique. Le populisme viendrait pour beaucoup à sentir l’odeur du grand soir, sinon du grand matin. Endiguer une telle dynamique deviendrait impossible.


Le Président en exercice ne pourra pas compter, en 2022, sur le fameux plafond de verre républicain qu’il aura lui-même fait exploser, au bénéfice de la concurrente qu’il s’est choisie. Telle est la limite de la stratégie déployée pour s'assurer d'avoir Mme Le Pen face à lui au second tour. Renforcer l'adversaire ne se fait jamais sans dommage.


Ce choix escarpé est dû à un défaut d’habileté manœuvrière, mais il est aussi la marque d’une panique en cuisine. La suppression de l’ENA et celle du statut du corps des Préfets, était une nécessité que plusieurs de ses prédécesseurs ont rêvé, Macron l’a fait... comme beaucoup de ses actions : quoi qu’il en coûte. Et le prix est élevé, car l’on ne s’aliène pas l’élite d’Etat sans conséquences.


Dépourvu des appuis qui l’ont porté au pouvoir et n’en ayant gagné aucun, la stratégie d’Emmanuel Macron est non pas de conquérir les suffrages par l’enthousiasme, mais de constituer aux yeux de l’électeur la moins pire des solutions. Elle ne peut fonctionner que si la concurrence ne jouit d’aucun élan. Il n’y a, aujourd’hui, pas d’entrain pour le vote populiste, il est pour le moins imprudent de lui offrir des succès inédits, car en politique la victoire va aux victorieux.

Marine Le Pen n’a aucune des qualités nécessaires pour devenir Présidente de la République, sauf une seule : sa capacité à profiter des erreurs de ses adversaires. Emmanuel Macron est en passe de lui offrir le trône en 2022. Elle n’a qu’à attendre que le fruit tombe de l’arbre.

On pense inévitablement à la fable de La Fontaine, où le chat Raton retire du feu au profit du singe Bertrand (aucun rapport avec Xavier) les marrons qui y grillent.



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