Passer de l’ambulance au corbillard
- André Touboul
- 19 mars 2023
- 5 min de lecture

Après avoir annoncé à grand renfort de trompettes médiatiques toutes acquises à leur cause, que l’on allait voir ce que l’on allait voir, les Syndicalistes associés, aussi titubants que des Alcooliques anonymes, ont écrit, le béret à la main au Président de la République pour lui demander audience.
Laurent Berger, l’Attila derrière qui la réforme paramétrique et le recul de l’âge de départ ne repoussent pas, a « imploré » le gouvernement, oui, on a bien lu « imploré », d’abandonner la réforme. On s’interroge sur les capacités intellectuelles d’un homme qui s’arcboute sur la question de l’âge de départ, alors qu’en Europe on travaille partout trois ans de plus qu’en France. Qui peut croire vraiment que cette exception française peut durer ? Et qui oserait dire qu’une réforme obligeant à travailler plus n’est pas nécessaire face à une dette de 3000 milliards d’euros ? Qui peut nier qu’un point de plus des taux d’intérêts infligés par les marchés financiers aux débiteurs qui refuseront de faire des efforts coûtera des dizaines de milliards ? On pinaille sur les faibles économies induites par la réforme, alors qu’elles sont considérables, mais pas là où on les cherche.
Bien entendu, ces raisons incontestables n’atteignent pas ceux qui prétendent qu’il suffirait de ne pas rembourser la dette publique. On se souvient des discours délirants de certains, lors de la crise de la dette grecque. Avec sagesse les Grecs ont compris qu’ils ne pouvaient continuer à vivre au dessus de leurs moyens. Un défaut de la France, provoquerait l’explosion du système monétaire européen, mais d’abord ruinerait chaque Français. Ceci n’a, bien sur, aucune importance pour ceux dont le projet politique est de détruire la société pour, sur ses ruines, reconstruire une France non capitaliste où ils distribueraient des revenus universels. Ceux-là se reconnaitront et chacun les reconnaîtra.
Emboîtant le pas à Mélenchon, Philippe Martinez a réclamé un référendum pour « donner la parole au peuple ». Mais, n’était-ce pas lui et ses coéquipiers qui expliquaient que la vraie démocratie est dans la rue, pas dans les urnes ? La mobilisation historique que l’on promettait a le souffle court. Un comble, ses promoteurs demandent au Gouvernement contre qui elle est dirigée de la mettre à sous respiration assistée, comme un patient atteint de covid.
La maladie de nos Pieds Nickelés du bloquage semble devoir être plus sévère qu’un covid long. Entrés dans la danse avec un ensemble qui devait les rendre invincibles, ils vont en ressortir affaiblis. On ne croyait pas possible que dans une France où les syndicats sont notoirement et scandaleusement peu représentatifs, il leur fut possible de descendre plus bas.
Cette situation ne se comprend que par une interprétation erronée des sondages qui déclarent les Français hostiles à une écrasante majorité à un report de l’âge de la retraite. La mobilisation de la rue, et celle des travailleurs (entendre pour eux, l’immobilisation) promettait d’être une promenade de santé, façon Poutine à Kiev. L’erreur d’analyse a été de ne pas tenir compte de ce que, dans le même temps, une majorité aussi importante déclarait penser que la réforme était inévitable. Parce qu’indispensable au pays, ou nécessaire au Président Macron ? On ne saurait dire… peut-être les deux.
Les médias ont fait la même faute de carre, et leur dérapage leur a fait perdre encore plus de crédibilité, prouvant qu’en dessous de zéro confiance, il y a de la place pour toujours plus de méfiance. On a vanté par avance l’élan d’un peule, séduit par le droit à la paresse. On a démonté, pièce par pièce, une réforme mal ficelée, défendue par des technocrates incompétents, ce qui est tout de même un bel oxymoron (ou alors un pléonasme). On s’est inventé des héros, comme cet autre Zemmour qui calculette à la main démontrait que Bercy ne savait pas compter. La meute ne cessait de scander qu’il fallait retirer le texte. On prédisait que le Sénat, après l’Assemblée serait dans l’incapacité de voter. On expliquait que l’article 49-3 de la Constitution était pratiquement inconstitutionnel. L’hallali était proche.
Rares sont les journalistes et experts qui ont osé mentionner que la France ne pouvait continuer à ramer contre le courant qui exige que l’on travaille plus, non pas pour gagner plus, mais pour rembourser nos dettes. Presque personne n’a voulu affronter cette vérité qui dérange, hélas la France dépend des marchés financiers. Sa dette a augmenté, les taux aussi, elle doit donner des gages de sérieux. Malgré ce silence des agneaux médiatiques, les Français ont le bon sens de savoir que même si la potion est amère, il faut cette fois l’avaler. Chacun sait confusément que la réforme proposée n’est pas parfaite, mais que l’important est qu’il y en ait une.
Quand le lait sera redescendu dans la casserole, les mêmes médias chanteront les louanges d’un Président que l’on dira courageux, alors qu’il n’a cessé de reculer jusqu’à se trouver le dos au mur. Le fameux mur des taux. Pour échapper au mur de l’argent, François Mitterrand a nationalisé, en 1981, une grande part de l’économie française, il a fallu trente ans de dénationalisations, dont les plus massives furent menées par les Socialistes, pour sortir de cette impasse qui étouffait l’économie dans un contexte où la mondialisation imposait l’ouverture à l’initiative privée.
Les augures annoncent qu’après la réforme des retraites, le quinquennat sera terminé. Bien au contraire, on peut déjà prévoir que Macron l’intrépide fera mine de se lancer dans des réformes nouvelles. Mais n’ayons crainte. Celles qui touchent à la Constitution, il ne pourra pas les faire. Et les autres, les hochets sociétaux s’enliseront dans les Conventions Citoyennes, Comités Théodule de notre époque. Après avoir fait montre d’autorité, le Président fera semblant de redonner la parole au peuple, sous la forme de la démocratie dite directe, qui à la différence de la vraie, celle des urnes, n’a que la valeur indicative qu’on veut bien lui donner.
Le plus préoccupant de cet épisode de la réforme des retraites, qui sera suivi par d’autres réformes des retraites, est qu’il aura encore une fois démontré l’absence de poids des corps intermédiaires, et aura fait passer les syndicats de l’ambulance dans le corbillard.
En outre, le paysage politique français va de plus en plus ressembler à la Nuit des morts vivants. Et se radicaliser encore et encore.
S’il avait le souci de l’avenir de la France, Emmanuel Macron devrait se consacrer à reconstruire ce qu’il a balayé. Une gauche et une droite de gouvernement. A gauche, tout est possible quand on voit à la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, emboîter le pas à Didier Migaud, lui aussi socialiste, pour vanter la rigueur budgétaire. A droite, la démagogie pointe l’oreille avec Aurélien Pradier, mais ce ne sont que singeries. La réforme des retraites a donné l’opportunité à la droite sénatoriale de montrer qu’elle sait s’élever au-dessus des calculs électoraux et rendre plus crédible son discours classique de l’intérêt supérieur du pays. Il est vrai qu’à l’Assemblée, c’est raté.
La réforme des retraites passe par le 49-3, ce sera pas un échec pour Emmanuel Macron, qui n’aura fait qu’user de ses facultés constitutionnelles, mais bien pour les députés LR qui auront démontré qu’ils ne servent à rien. Ils auront été en l’espèce trahis par des frondeurs. Et l’on se souvient dans quel abime ses frondeurs ont conduit le Parti Socialiste.
La victime collatérale de cette tragicomédie autour du »je t’aime, moi non plus » du 49.3, aura été Elisabeth Borne, manifestement sous-dimensionnée pour la tâche qui imposait de louvoyer entre la recherche d’un accord avec les LR et l‘épreuve de force. Elle s’est épuisée dans la première étape, et n’a pas su dissimuler son désappointement, permettant aux malintentionnés de parler d’échec. Mais on ne pouvait rien attendre de plus d’une personnalité sans épine dorsale capable de s’enorgueillir de fermer Fessenheim, il y a peu, et aujourd’hui de vanter le retour du nucléaire.
Une surprise pourrait survenir. Le coup de dés gagnant d’Emmanuel Macron pourrait être de désigner, pour la remplacer comme Premier Ministre, une personnalité choisie dans l’opposition. Dans ce cas ce serait nécessairement à droite, et l’ouverture d’une période de cohabitation en demi-teinte. Cela est inéluctable, la seule question est de savoir quand, le Président s’y résoudra.
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