Philosophie de la guillotine
- André Touboul
- 22 sept. 2021
- 3 min de lecture

L’intérêt des candidatures comme celle de Zemmour est d’ouvrir des débats que les médias ne voulaient ou n’osaient pas aborder. C’est ainsi que la démocratie est vivifiée et peut éviter de sombrer dans la fatigue ou pis l’indifférence.
En se déclarant philosophiquement favorable à la peine de mort, Éric Zemmour a cru ressusciter un vieux combat que l’on pensait réglé depuis 40 ans avec la loi Badinter.
C’est l’occasion, non pas de remettre sur le tapis cette question dont la cause est entendue en France et en Europe, mais de mieux cadrer la personnalité de la nouvelle coqueluche des plateaux télé.
En effet, se déclarer philosophiquement favorable à la peine de mort, c’est se placer sur le plan moral, et dire que certains crimes justifient par leur nature que la société élimine leurs auteurs, non parce qu’elle ne pourrait les conserver à l’écart, mais parce qu’il serait juste de les faire mourir.
Cette prétendue justice ne fait que substituer la puissance publique à un acte de vengeance privée. Elle se heurte à un obstacle majeur, celui de l’exemplarité.
On a longtemps invoqué pour justifier la peine de mort son caractère dissuasif, l’exemple du supplice ultime permettrait d’éviter de nouveaux crimes. On sait que les exécutions capitales que l'on ne supporterait pas de voir opérées en place publique, alors que la mort naturelle est un spectacle insupportable, n’ont aucune prise sur les criminels les plus odieux, et surtout pas sur ceux qui, au fond, entendent sacrifier leur vie et la magnifier dans le crime.
Mais la philosophie ne se place pas sur ce plan utilitaire, elle évalue le bien et le mal. Or si tuer est mal, la société en le faisant donne le mauvais exemple, or, c’est à elle d’éduquer les individus et non l’inverse.
"Si l’on veut abolir la peine de mort, en ce cas, que messieurs les assassins commencent", écrivait Alphonse Karr au 19ème siècle, en plein débat sur l'abolition. Cette phrase a connu à l'époque un succès pareil à quelques zemmourades d'aujourd'hui comme celle du "grand remplacement".
On ne peut mieux poser la question de la peine de mort et y répondre à l’envers. Est-ce aux individus de donner l’exemple ou à la société de les éduquer ?
Si l’on croit que la vie humaine est sacrée, et que l’on ne peut y attenter qu’en cas de nécessité et d’urgence absolue de légitime défense et de juste guerre, c’est à la société au premier chef de donner l'exemple en respectant ce principe. On ne peut, en effet, sérieusement attendre que les particuliers soient plus moraux que la société elle-même.
« …je dis que la peine de mort d’une part ne réprime ou ne prévient pas le meurtre, et de l’autre part accroît les dangers de la société en entretenant la férocité des mœurs », dit pertinemment Lamartine dans son discours de 1838 devant la Chambre des députés.
Il y a certainement une exemplarité de la peine de mort, cependant pas comme un épouvantail, mais comme un mauvais exemple. Si la société se venge, ou si elle se débarrasse des individus qui la gênent, pourquoi les personnes privées ne feraient-elles pas ?
Le prétexte de l’inexécution des peines de perpétuité n’est pas recevable. Il s’agit d’un dysfonctionnement du système qu’il faut corriger. Mais l’on ne répare jamais rien par le pire.
Dans la boutade de Karr, Alfred Jarry avait décelé un sophisme, c’est à dire un raisonnement boiteux, : Si les assassins commencent en ne tuant pas, ils ne sont pas des assassins, écrivait-il. De fait, Karr aurait dû dire : que ceux qui sont tentés d’assassiner commencent par s’en abstenir. Mais il brûle cette étape, et son affirmation qui a été plébiscitée de son temps, devient impossible à discuter. En effet, si l'on peut argumenter contre un argument, on ne peut rien contre l’absurde. Sa force est qu’il est sans réplique, sauf à en démonter le paradoxe. En l'espèce, l'erreur de Karr est qu'il transfère la responsabilité éducative, la charge de l'exemplarité aux criminels. On peut aller chercher mieux ses modèles, mais surtout c'est une démission de la société qui devenant sacrilège ne peut attendre de vertu de ses membres.
La philosophie de la guillotine est un raccourci qui néglige la valeur sacrée de la vie humaine. Le polémiste, candidat putatif aux présidentielles de 2022, qui prétend y avoir philosophiquement réfléchi, n’a pas intégré l’absurdité de la saillie d’Alphonse Karr qui condamne, en fait, la peine de mort. Cela montre les limites de la rationalité de l’individu, ou pis sa carence morale. Zemmour, qui brille par ses citations souvent pertinentes, a certes bien accompli ses humanités, mais il n'en a pas retenu l'essentiel, c'est à dire l'humanisme.
*
Comments