Politique fiction, le dilemme des Parques
Boule de cristal ou marc de café, les extralucides du commentaire politique peuvent aussi interroger les cartes, scruter les astres, ou comme le faisaient les auspices du temps de Romains antiques lire l’avenir dans les entrailles de poulets. Toutes ces techniques se valent pour prévoir ce que les prochaine semaines ou mois réservent à la France. Quant à se risquer au-delà le l’an qui vient, autant tirer des plans sur la comète.
Jamais l’incertitude qui gouverne les liens des événements entre eux mêlant les tendances lourdes incontournables aux aléas chaotiques qui affectent les destins individuels, n’aura été aussi épaisse.
Si l’on s’en tient aux arcanes majeurs que les sociologues privilégient dans leurs analyses, la victoire de l’extrême droite est inévitable.
Sur l’immigration, la sécurité, l’éducation nationale soumise à la menace islamiste et démissionnaire dans sa mission éducative, l’un après l’autre les thèmes qui appartenaient au parti lepéniste s’imposent peu ou prou à tous les partis raisonnables qui, il y a peu, les considéraient comme inexistants, et au mieux sulfureux. Ces sujets tabous deviennent des totems.
D’autres questions de fond connaissent un sort similaire. Le scepticisme qui s’applique à l’Union européenne ou au climat.
A l’occasion du Mercosur, les Français les plus europhiles découvrent la toxicité des pouvoirs la Commission de l’Union européenne qui pourrait bien détruire une part de leur agriculture en autorisant la concurrence déloyale du Mercosur, sans que leur Gouvernement puisse s’y opposer. Cette aliénation de souveraineté que dénonce le RN, prêchant dans le désert depuis des années, devient une évidence. Emmanuel Macron déclare depuis un tarmac argentin qu’il ne signera pas en l’état. Mais sa signature est inutile, et cela il ne le dit pas. Pathétique. Encore une fois, il donne le point aux euro-sceptiques de Marine Le Pen.
Nul ne peut, aujourd’hui, se dire climato-sceptique, c’est même un délit. Cependant les écologistes accumulent les fiascos dans les urnes. Un paradoxe ?
En vérité, le mantra de « c’est bon pour la planète », pourtant rabâché par les médias, ne convainc pas. Donner l’exemple est une bonne chose, à la condition d’être suivi. Or, l’on constate que le monde réel s’en tient aux déclarations et se garde bien de compromettre ses intérêts nationaux. On entend même parler de « dette écologique » se chiffrant par milliards que les pays développés devraient au reste du monde pour compenser leur développement excessif.
Le type d’écologie qui agace n’est pas celui qui influe efficacement sur l’environnement immédiat comme le tri des déchets, mais celui qui fixe des contraintes absurdes, comme l’interdiction des véhicules à moteur thermique en 2030, que le reste du monde ne suit pas. Chacun voit bien que cette réglementation, également estampillée « europe », aura pour effet de favoriser l’industrie chinoise. Là encore, les positions écolos-sceptiques du RN sont partagées au-delà de son électorat de la France périphérique.
Sur la lancée du rejet de l’extrême droite, le Front républicain a fonctionné au second tour de 2024. Il est douteux que pour les prochaines échéances électorales, malgré la viscosité du vote par rapport à l’opinion, ce cordon sanitaire, désormais sans fondement programmatique, suffise à écarter l’extrême droite de la victoire dans les urnes.
Le dernier rempart qui est celui de l’anti-racisme est aujourd’hui d’un maniement délicat. En effet, il est difficile d’accuser le RN d’antisémitisme. Il se déclare même pro-juif, certes par anti-islamisme, mais l’argument disqualificatif traditionnel de racisme est singulièrement affaibli. Qu’il s’applique aux LFI ou au RN, le racisme, dont chacun se défend, avec plus ou moins de conviction, est, hélas, la chose du monde la plus partagée.
Sur le plan des valeurs l’idée classique d’une gauche de liberté et une droite moralisatrice s’est inversée. Désormais, la liberté d’expression est à droite, le moralisme et la censure sont à gauche. Au siècle dernier, la gauche était collectiviste, elle est maintenant centrée sur les droits individuels qu’elle baptise droits de l’homme, alors que la droite individualiste de jadis défend les intérêts collectifs à travers la nation.
On dira, bien entendu que le programme économique du RN est une catastrophe assurée, presque autant que celui du NFP. Mais, l’on ne peut écarter l’hypothèse qu’il en change, placé en face des réalités du pouvoir, ce qui est totalement exclu pour l’extrême gauche dont LFI exige « le programme, tout le programme et rien que le programme ».
Au demeurant, le sort qui attend la perte de crédibilité de la dette française n’est rien d’autre que le défaut de paiement de l’Etat. Inconcevable ? Inédit, certes, car jamais la France n’a dépendu de marchés financiers pour faire ses fins de mois. Mais aux pires moments de ses difficultés financières la République pouvait dévaluer, ce qu’elle ne peut évidement plus faire. La sagesse financière n’est donc plus une option mais une obligation, même si l’on constate ces jours-ci des soubresauts dépensiers qui font penser à ceux de poissons qui hors de l’eau manquent d’oxygène.
Les dés paraissaient jetés, les planètes alignées, le boulevard ouvert à l’extrême droite. Mais, la vie politique est aussi tissée de destins personnels qui font et défont les fils de la toile de l’histoire. Le scénario d’une victoire de Marine Le Pen et de son parti qui était écrit, est désormais mis en question de par l’inéligibilité prévisible de sa candidate. Ce coup de baguette magique judiciaire, pourrait, comme ce fut le cas en 2017 pour Fillon, renverser la donne. Un game changer, diraient les franglo-phones.
Mais l’affaire est loin d’être pliée.
Il est impossible de rendre inéligibles tous les candidats RN pour les législatives. On s’étonnera d’un raz-de-marée d’extrême droite, mais celui-ci est prévisible, comme l’était celui qui a assuré le come-back de Donald Trump.
La condamnation à l’inéligibilité de Marine Le Pen aurait évidemment pour effet de galvaniser sa clientèle actuelle. Il s’y ajoutera un bon nombre de « raisonnables » qui constateront que sur tous les sujets évoqués plus haut, et qui sont essentiels, le RN « avait raison », et surtout que tous les autres partis « avaient tort », et prenaient les Français pour des imbéciles.
La procureur qui a prononcé les réquisitions incendiaires au procès des assistants parlementaires FN, a laissé échapper un aveu. Reconnaissant que pour un des prévenus elle n’avait pas d’éléments à charge, elle n’avait pu requérir de relaxe, car « cela lui aurait fait trop mal ». Cette preuve de militantisme a porté un mauvais coup à la Justice, ouvertement partiale, mais surtout cela révèle une habile stratégie de son camp. Il s’agissait d’exaspérer Marine Le Pen, la pousser à bout, et l’inciter à rejoindre LFI dans sa position de rupture. Ainsi, Mélenchon a pu sérieusement prédire de faire tomber le Gouvernement Barnier avant Noël.
La patronne du RN aurait bien tort de perdre ses nerfs. Une censure avant l’adoption du budget ne lui rapporterait qu’une pluie de critiques de Français de tous bords, car la continuité de l’Etat serait menacée. A l’opposé, si le Tribunal suit les réquisitions sur l’exécution provisoire, l’opinion comprendra que la censure soit inévitable d’ici l‘été. Exit alors Barnier.
Emmanuel Macron devra dissoudre la Chambre, solution qu’il préférera évidemment à une démission. Certes, Marine Le Pen ne se représentera pas à la députation, mais l’hypothèse d’une majorité absolue RN sera la plus probable. Rien n‘interdira alors au RN de modifier la loi et d’effacer l’inéligibilité de sa candidate. Bien entendu, un tel vote serait l’occasion d’une polémique, et l’on peut même augurer qu’elle atteindrait son paroxysme en 2027, se substituant au débat de fond. Qui alors en serait bénéficiaire ?
Les Parques, ces sœurs aveugles qui tissent le destins des hommes et des nations, semblent hésiter entre les fils de l’impulsivité conduisant à la censure, comme celui qui fit prononcer la dissolution par Macron, et ceux de la patience qui est bien plus difficile à nouer.
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