Quand l’intention de l’artiste exige un traducteur
- André Touboul
- 14 mai 2023
- 2 min de lecture

La différence fondamentale entre un peintre et un barbouilleur, ne tient pas à la maitrise picturale, Picasso avec d’autres ont montré que l’art est de savoir faire oublier la maitrise. Ce qui fait la valeur d’une œuvre est sa capacité à produire de l’émotion, et celle d’un artiste est que celle-ci soit très exactement celle qu’il veut exprimer.
Le tableau du Palais de Tokyo, qui a fait scandale ces jours derniers, dénonce le viol et les massacres de Boutcha. C’est ce que l’explication qui en est donnée permet de découvrir. Dont acte. La peinture a toujours représenté des images choquantes. Chronos dévorant ses enfants, l’enfer de Jérôme Bosch, de tous temps la peinture a montré des choses horribles, parfois très durement, mais il ne faut aucune notice pour le constater. On peut dire tout ce que l’on veut sur la liberté d’expression qui est à géométrie variable selon ce que l’on est prêt à entendre, ou pas, la vraie question est dans la qualité de l’œuvre qui est ratée quand elle ne se suffit pas à elle-même. Si le tableau ne montre pas au regard l’intention du peintre, et qu’il faut un traducteur, on peut douter du talent de celui-ci et même de la possibilité de conférer à l’objet le statut d’œuvre d’art.
L’art est par définition l’objet (ou l’acte) qui existe hors de celui dont il émane. L’esthétique est un attribut de l’objet d’art, la virtuosité de l’artiste aussi, mais ce qui fait d’un artefact, plus ou moins habile, un œuvre d’art est qu’il possède une personnalité qui parle directement aux sens. Le discours peut être agréable ou choquant, il « est » par lui-même, car il se doit de parler la langue universelle de l’art.
A la limite, un tableau peut avoir un titre, mais celui-ci n’a pas pour fonction de modifier la perception de l’œuvre, il sert à l’individualiser et se veut descriptif.
Les Musées sont libres d’exposer des artistes contestés, médiocres ou des œuvres contestables, voire malvenues, bien entendu, comme l’affichage dans les kiosques de presse et sur la voie publique, ils doivent veiller à en protéger les mineurs et un public « non-averti ». Ces précautions ont été prises en l’espèce.
Néanmoins, ne blesser personne, voilà les funérailles de l’art. Cependant, encore faut-il que le message ne soit pas le contraire de l’intention de l’auteur. L’interpellation nécessaire de l’artiste peut faire appel à une certaine ambiguïté de la conscience du spectateur, mais elle manque son but si elle tourne à une illustration pure et simple, qui peut passer pour une apologie de l’horreur et non sa condamnation.
Évidemment, les voix du « bon diapason » se sont élevées en chœur pour hurler à la censure, à la cancellation de droite. Elles ont raison de s’émouvoir, comme a eu tort le quidam qui a aspergé d’encre le tableau, son acte ayant apporté à un barbouillage médiocre une audience qu’il ne méritait pas.
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