Quand l’élite se délite, l’Etat part en java
- André Touboul
- 7 févr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 févr.

Présenté comme une pathologie de la démocratie, le populisme n’est pas une maladie inflammatoire du peuple qui serait hostile à son élite, mais un mal propre à celle-ci qui n’est plus apte à remplir son office. Nuance.
Pour ne parler que de la France, l’élite d’Etat est comme un bateau ivre qui va d’échecs en fiascos. Bercy qui en est la quintessence s’est montré incapable de produire un projet de budget 2025 acceptable ; à ce point que le Premier Ministre Bayrou, lui-même, qui l’a fait adopter, le déclare mauvais.
Le fin politique gascon avait commandé une copie sans impôts nouveaux, puis s’est résigné à accepter un équilibre entre fiscalité et économies, et in fine, les énarques sous la houlette d’Eric Lombard, grand bourgeois et néanmoins haut fonctionnaire Directeur général de la Caisse des dépôts, ont déclenché une salve de taxes, sans précédent.
Lombard ? Se fiant, sans doute, à sa fiche Wikipédia, qui le désigne comme un HEC chef d’entreprise aux « positions néolibérales et austéritaires (sic) », le Premier Ministre, l’a choisi pour bâtir le budget 2025. C’est, en réalité, un ami d’Olivier Faure qui a officié, et fait pire que la mouture Barnier. Cela a, peut-être, évité la censure, mais a, surtout, démontré que l’on ne peut se fier à personne parmi cette élite d’Etat qui tient les cordons de la bourse. Comme le scorpion qui pique la grenouille au milieu du gué et se noie, ce n’était pas leur intérêt de matraquer à tout va, mais c’est leur nature.
A la suite du dérapage incontrôlé, non prévu par eux, du déficit public de 2024, cette nouvelle marque d’incompétence disqualifie les têtes d’œuf du Ministère des Finances, pourtant réputés infaillibles. Ils sont les meilleurs parmi les meilleurs de ceux qui ont fait du Service public une religion dont ils sont les officiants. Et les voilà démasqués s’agitant sans but comme des pantins désarticulés.
Les Français se doutaient de ce que la morgue des hauts fonctionnaires de tous Corps dissimulait une incapacité foncière née principalement de leur irresponsabilité et de leur intouchabilité statutaires. Ils en ont eu la preuve flagrante lors de la pandémie Covid, où est apparue au grand jour la sur-administration du secteur hospitalier embolisé par le manque de lits et de soignants. On a ainsi découvert les 18 Agences Régionales de Santé, et leurs 9.000 agents, qui n’ont jamais soigné le moindre malade.
Ce n’était, hélas, que le cas particulier d’un système de gestion qui, externalisant les fonctions sans diminuer les postes de fonctionnaires de l’Etat, multipliait les Agences ; quelques 1.200, dont le Gouvernement, lui-même, avoue ignorer le nombre, et dont on évalue le coût à 80 milliards.
L’élite d’Etat, quelque soit son domaine, prolifère mais ne délivre pas. Elle pose problème dans toutes ses composantes. Les inspecteurs des Finances et les hauts fonctionnaires de la santé ne sont pas les seuls à être défaillants. Les magistrats gardiens de l’Etat de droit sont aussi en perdition.
L’Etat de droit est le garde-fou nécessaire pour garantir des emportements populaires, il est la raison face aux excès des émotions du grégaire. Certes, le recul par rapport à l’opinion du moment est une qualité, mais le système devient fou quand il est géré par des extra-terrestres, enfermés dans une tour d’ivoire, qui, au mieux, ne savent rien de la réalité, et, au pis, ont la prétention de la changer à leur idée.
L’autorité judiciaire exerce un pouvoir qui ne tient qu’au respect qu’elle inspire. Or, elle est désormais l’objet d’une défiance, sinon d’une hostilité foncière de la part du peuple qu’elle traite comme un attardé mental. C’est à l’évidence un fossé d’incompréhension quand le tribunal administratif annule une OQTF concernant un influenceur algérien qui appelle à la haine de la France.
Le constat est cruel, le temps de l’arrogance de l’élite est terminé.
Face à ce désarroi de ceux qui sont issus de la méritocratie républicaine, et sont habitués à exercer leur pouvoir sans rendre compte, car à l’abri de l’anonymat de la fonction publique, la majorité silencieuse se tait. Mais elle se venge en désignant des représentants choisis parmi ceux qui, aux extrêmes, se revendiquent anti-système. Les modérés, on devrait plutôt dire les « raisonnables », en restent cois, ils seraient de toute manière inaudibles, car le peuple vit mal la déconfiture de son élite, il sait que quand l’élite se délite, c’est l’Etat qui part en java.
Rien ne pourra sauver ceux que Bourdieu appelait « la noblesse du diplôme », car si elle en est venue là, c’est en grande partie en raison d’un vice inhérent à sa formation.
Celle-ci présente à la fois des carences majeures et des erreurs capitales. Les codes et pré-requis qui ont servi de cadre à la sélection par concours sont datés et obsolètes. Mais le plus grave est que l’idéologie véhiculée par les enseignants qui imprègne les promotions successives est une version molle du marxisme laquelle fait fond sur la mauvaise conscience de l’Occident. Les dérives constatées à Sciences Po, et le sectarisme dans les universités sont la signature d’un pseudo-humanisme qui ne pense qu’en termes d’oppresseur et d’opprimés, et porte en lui la renonciation à toute harmonie sociale.
Comme un disque rayé, les Présidents successifs, conscients du fossé grandissant entre l’Etat et le bon peuple de France, ont promis le changement, dans la continuité ou pas, il ont laissé espérer la rupture, ils ont assuré vouloir réduire la fracture, mais, en pratique, ils n’ont rien fait.
« La réforme administrative est à l’ordre du jour, et elle le restera », plaisantait Jacques Chirac dont le cynisme fait sourire.
On parle de réformer l’Etat, comme s’il était une enveloppe budgétaire, ignorant qu’il est constitué de fonctionnaires, au demeurant très variés dans leurs profils et leurs missions.
La fonction publique se répartit entre celle d’Etat et celle des collectivités locales, de l’Administration générale ou de santé, outre celle militaire. Mais ce qui est la séparation la plus importante est celle qui existe entre les hauts fonctionnaires et la masse des agents publics. Au cours des années, les premiers ont multiplié l’armée des seconds s’en servant comme sur un échiquier de pions qui protègent les pièces maîtresses, les tours, les cavaliers… mais aussi les fous.
C’est encore aujourd’hui l’élite d’Etat qui, en sous-main, s’oppose à toute remise en cause du système sclérosé dans lequel elle a fait son nid douillet. Pour cette défense corporatiste, elle bénéficie de l’appui moral de l’ensemble du monde économique et médiatique sur lequel l’Etat étend son emprise tentaculaire. Ils peuvent compter sur la bienveillance du patronat dominé par les grandes entreprises, et de la complicité des médias ; ceux du service public, évidement, mais pas seulement, car le milieu médiatique forme une caste où les places sont verrouillées entre amis.
Ainsi l’on assène, soir et matin, que les services publics sont à l’os. Ils manquent de personnels à ce point que réduire d’un euro les dépenses publiques priverait la population d’infirmières, de policiers, d’enseignants… et l’on multiplie les normes qui nécessitent des fonctionnaires nouveaux pour les appliquer. Surnuméraire en administratifs l’Administration manque d’effectifs opérationnels.
La deuxième ligne de défense de l’élite d’État consiste à ne proposer d’économie qu’au détriment du modèle de sécurité sociale, alors que cela ne devrait intervenir qu’en dernier recours. La démonstration faite aux Français est que s’ils veulent sortir de la main de l’Etat, ils doivent renoncer à leur modèle social… très généreux. La vérité est qu’il est surtout trop coûteux, parce que mal géré.
L’élite d’Etat ne peut rien contre les évidences, les Français voient bien qu’ils n’en ont pas pour leur argent, et que la machine infernale du déficit et de la dette entraîne l’Etat vers la banqueroute. C’est peu dire que le consentement à l’impôt est ébranlé ; or, comme le calme précède la tempête, le peuple exaspéré ne dit rien, il subit, et c’est ce silence qui est inquiétant. Si rien ne change, il voudra changer de République.
Si l’on en vient là, le mouvement général en Occident dans le sens de la dé-bureaucratisation, dont l’Argentin Milei et l’inénarrable Elon Musk sont les figures de proue, s’imposera violemment à notre Etat profond. Et il faudra bien que l’on comprenne que le peuple français ne veut pas se laisser réformer par l’élite, et que fatalement c’est l’élite qui le sera, par le peuple.
Hélas, avec Bayrou, l’immobilisme est en marche, rien ne pourra l’arrêter, sauf peut-être une révolution, et ce ne sera alors pas une démission qui guettera Macron, mais une abdication.
La seule issue honorable pour notre élite d’Etat serait qu’elle prenne l’initiative courageuse de remettre en cause le statut de la Fonction publique, qui fait qu’un fonctionnaire embauché est pris en charge pour la vie, c’est-à-dire 60 ans en moyenne. Cet état de chose est intenable aujourd’hui, la révolution de l’IA, qui rendra inutiles ou inaptes 6 agents publics sur 10, va le faire, de toute manière, exploser, à brève échéance.
Heureux de t'avoir finalement convaincu de la solution.
Amitiés
Patrice