S’effacer pour ne pas disparaitre
- André Touboul
- 9 mai 2023
- 4 min de lecture

La conjecture de Syracuse est bien connue des mathématiciens. Elle concerne une propriété d’une suite de nombres premiers positifs, réputée décidable, mais non élucidée. Transposée à la politique, elle pourrait s’exprimer comme l’impossibilité pour un premier ministre sortant d’être élu Président de la République.
De la même façon que les nombres premiers de cette suite, celle des Premiers Ministres a un temps et une altitude de vol. Cette fatalité quasi-mathématique ne peut être démontrée par une loi constitutionnelle, mais elle n’a été à ce jour jamais contredite.
De nombreux observateurs de la vie politique, estiment que la seule solution pour que ne soit pas stérilisée la poursuite du second quinquennat Macron serait une cohabitation. Ce retour d’une configuration plusieurs fois pratiquée dans le passé est un partage du pouvoir entre le Président et le Premier Ministre. Le Président, qui ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée Nationale, désigne le Premier Ministre, qu’il choisit parmi les personnalités qu’il estime pouvoir en réunir une. Ce dernier est libre de constituer son gouvernement et définir sa politique, mais le Président est toujours celui qui nomme les ministres et promulgue les lois. Il conserve aussi une liberté de parole en matière internationale.
Cette situation oblige les deux têtes de l’exécutif à une certaine convergence de vues. Les Français n’étaient pas hostiles à ces attelages forcés, mais le personnel politique considérait qu’elle entravait l’efficacité de l’action gouvernementale, d’où le quinquennat destiné à coupler les scrutins présidentiels et législatifs, étant supposé que les électeurs ayant désigné un Président, ils lui donneraient, en se prononçant presque simultanément, une majorité lui permettant de mettre en œuvre son programme.
Cet postulat s’est vérifié en 2002, en 2007, en 2012, en 2017, mais pas en 2022 où la majorité obtenue par le Président réélu ne fut que relative.
Ainsi se présente une double nouveauté. Le Président sortant non cohabitant a été reconduit, et dans la foulée il n’a pas obtenu de majorité absolue. Assez clairement, le message du corps électoral parait avoir été de contraindre le Président à une certaine cohabitation. Cela est d’autant plus significatif que le système électoral majoritaire à deux tours est conçu pour dégager de franches majorités.
Le réalisme politique aurait voulu qu’Emmanuel Macron appelle en 2022 aux fonctions de Premier Ministre une personnalité apte à réunir une majorité à l’Assemblée Nationale. Il n’en a rien été, peut-être par impossibilité de trouver un tel profil, sans doute en raison de la conviction du Président qu’il pourrait réunir des majorités de projet, au jour le jour, au cas par cas, pour mener sa politique, son propre programme.
Il est vrai que la composition composite des soutiens d’Emmanuel Macron rend difficile une coalition avec les gauches, trop faibles et dispersées, ou avec la droite blessée, au demeurant réticente à apparaître comme une roue de secours d’un adversaire juré qui a beaucoup fait pour la réduire à néant. Le souvenir de la sécession des Frondeurs sous Hollande, laisse penser à son successeur qu’une alliance avec la droite le priverait d’une part venue de la gauche, sinon similaire en tout cas nécessaire de son propre parti.
De leur côté, les LR ont surement en tête la conjecture de Syracuse, et ne peuvent s’empêcher de penser que la meilleure façon de perdre les prochaines élections présidentielles serait que l’un d’entre eux occupe les fonctions de Premier Ministre.
C’est donc à de la navigation à vue que la France est vouée. Les périls extrémistes la menacent, tels Charybde et Scylla.
La promesse du candidat Macron de 2017 était celle d’un monde nouveau et d’une nouvelle manière de faire de la politique. Hélas, tout ce qui est nouveau n’est pas forcément beau. On en vient à regretter la vieille politique et le monde d’avant dans lequel les gouvernants avaient des défauts, mais, tous comptes faits, ne s’éloignaient pas tant que cela du raisonnable, en tous cas pas autant que le promettent les Lepénistes ou Mélanchonistes qui seraient les seuls bénéficiaires d’une dissolution, surtout les premiers selon ce qui se dit.
Le chemin de Macron est escarpé, il est périlleux, il sera fatal s’il continue avec l’équipage de petite envergure qui est le sien. Le Président a fait le choix de l’insignifiance avec Mme Borne, des chevaux légers avec Attal, Beaune ou Dussopt. Les personnalités plus denses comme Dupond-Moretti et Darmanin font polémique et désorientent l’opinion tant ils sont peu compatibles entre eux. Seul Bruno Le Maire parait faire le poids, mais il s’ennuie tant dans la tour d’ivoire de Bercy, qu’il s’adonne à la littérature.
L’erreur de communication de la réforme des retraites fut de la confier à des ectoplasmes politiques. Un coup gagnant aurait été d’en investir un Bayrou ou un Larcher. Pour la suite, s’il veut qu’il y en ait une, Macron devra accepter de confier la manœuvre à un poids lourd, ou une personnalité susceptible de mobiliser des soutiens hors du camp présidentiel. Il y perdra la main, mais cela lui permettra de parvenir au terme de son mandat.
Bien entendu, cela ne pourra aller jusqu’à la négociation d’un accord de coalition à l’allemande, car le Président ne peut signer de contrat avec un parti, mais il serait possible qu’Emmanuel Macron s’entende avec une personnalité de premier plan sur un programme de gouvernement, pour lequel le Président devrait s’effacer pour ne pas disparaitre.
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