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Sauver Sapiens

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 11 févr. 2023
  • 7 min de lecture




Les scientifiques déclarent volontiers que ce qui détermine les facultés du cerveau n’est pas tant son volume que le nombre de ses connections, les synapses. La baleine bleue bénéficie d’un cerveau de 6,9 kg, alors que l’homme se contente de 1,3 à 1,4 kg. A poids corporel égal, la femme a un cerveau inférieur de 100 g à celui de l’homme, c’est une vérité statistique, qui n’a rien de désobligeant car Neandertal avait un cerveau plus volumineux que celui de Sapiens, et cela ne l’a pas beaucoup aidé.


Le nombre de neurones du cortex cérébral n’est pas non plus seul en cause. L’homme est bien pourvu avec 21 milliards, mais le Globicéphale commun en possède 37,2 milliards. Avec trois fois moins de neurones que Sapiens, le chimpanzé ne parait pas un candidat crédible pour instaurer la Planète des singes. Mais, puisque ce sont les synapses qui sont déterminantes, un événement fatal à l’humain, pourrait redonner leur chance à certains primates.


On objectera que l‘avance technologique des hommes les met à l’abri, de toute concurrence. Cela est vrai individuellement mais encore plus au plan collectif. La communication est un facteur multiplicatif des facultés intellectuelles. Cet élément a fait dans les dernières décennies un bond spectaculaire. L’interconnection de milliards d’individus par l’internet a surmultiplié les facultés mentales de l’espèce humaine. En y ajoutant l’assistance que l’intelligence artificielle vient surajouter, on ne peut qu’être époustouflé par la somme gigantesque d’intelligence dont dispose l’espèce humaine. Evidemment, ce n’est q’un début comme le laisse présentir laisse pressentir le robot ChatGPT. Le terme qui surgit, pour parler de l’intelligence, est désormais « exponentiel »


Par son ampleur, ce progrès porte néanmoins en lui-même un danger d’une dimension inégalée, car le propre de l’homme est de ne pas savoir dominer son émotivité. C’est le facteur humain qui dans la faillibilité inclut l’erreur banale d’insuffisance de réflexion, mais aussi celle de l’aveuglement des actions impulsives.


Ce sont, sans doute, ses émotions qui ont déterminé Sapiens à s’aventurer au delà de l’horizon, et aussi de vouloir explorer passionnément le monde des idées. Elles continuent à le pousser en ce sens. On parle de la curiosité, et c’est aussi la peur, la haine, l’indignation et bien d’autres passions encore.

Mais ces émotions induisent également des comportements irrationnels, des attitudes nuisibles à l’espèce. A cet égard le développement des pouvoirs de chaque humain (jamais un seul n’a pu détruire autant de ses semblables d’un seul geste), et de ceux des groupes que sont les Etats (quelques uns d’entre eux peuvent détruire la planète entière, plusieurs fois), est un changement qualitatif qui exige de modifier les relations entre les hommes. Jusqu’ici elles étaient fondés sur une compétition virile pour les ressources, les territoires, et les reproductrices.


Après la Seconde Guerre mondiale, on pensait que, mis à part quelques conflits locaux relevant d‘opération de police, la guerre ne pouvait plus être que froide. La Corée, le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak auraient dû convaincre que ce concept était une illusion. Il a néanmoins encore cours, c’est la raison pour laquelle Vladimir Poutine a appelé « opération spéciale » l’invasion de l’Ukraine, qui est, néanmoins malgré lui, devenue une guerre de haute intensité, souvent comparée à la Première Guerre mondiale.


Dans une Europe, occupée à toucher les dividendes de la paix, le réveil du 24 février 2022 a été brutal. Il y avait cependant eu, le Brexit, un coup de tonnerre dans un ciel serein. Mais, le vote britannique de 2016 qui sonnait le glas d’une solidarité toujours croissante, survenait après deux événements que l’on avait pas voulu voir. L‘annexion d‘une partie de la Georgie en 2008, et celle de la Crimée en 2014. La fin de l’Histoire, définie comme la chronique des grands conflits, n’est pas survenue en 1989 avec l’effondrement de l’URSS.


Le chapitre qui s’est ouvert pourrait s’intituler  « le retour des Empires ». Le chacun-pour-soi des Britanniques nostalgiques de leur Empire, les bruits de bottes russes qui signifiaient le retour du « tout-pour-moi » impérialiste, le surgissement de l’Empire chinois du millieu, tout cela rendait obsolètes et vains les sommets pour le climat et les émissions de CO2. Les Gouvernants feignent néanmoins de continuer à y croire, mais chacun sait bien que l’essentiel est ailleurs.


Il ne sert à rien de proclamer que la Terre est en danger de devenir inhabitable du fait de l’activité civile humaine (pollution, déchets, changements climatiques), si ce sont les militaires qui prennent la main. Avec les moyens dont ils disposent, le réchauffement climatique risque de devenir le cadet de nos soucis.


La première étape nécessaire de l’écologie est de fixer les droits et devoirs des nations qui excluent le recours à la force.

Cette civilisation de la Terre étant admise, l’interdépendance des Etats en est le principe premier, car il conditionne la survie de l’espèce. On peut multiplier les réunions internationales où chacun négocie et s’engage sur la pollution, les déchets, le climat. Mais dans un monde où la force prime le droit, ces engagements ne valent pas le papier sur lesquels ils sont couchés.

Les Russes ont raison de parler d’apocalypse, c’est ce qui va résulter de leur aventurisme militaire. En effet, ce qui est en jeu, ce n’est pas un bout de terrain qui se mesure en pourcentage du sol de l’Etat ukrainien, mais la nature du monde dans lequel vivent les hommes.


Compte tenu de leurs facultés techniques actuelles, les humains ne peuvent plus se chamailler dans des conflits territoriaux limités.

C’est ce message capital que les Etats de l’Union européenne ont adressé au Kremlin, en soutenant le peuple ukrainien. Alors que l’on disait que les herbivores de l’Union européenne ne pesaient rien face au carnivore russe, les ovins ont montré qu’en se serrant les coudes, ils pouvaient faire échec au grand méchant loup.


Quelques diplomates, commentateurs et mêmes certains militaires, qui s’expriment régulièrement sur les ondes, arguent de la « realpolitik » pour préconiser des concessions à Poutine. Ils opposent le citoyen vertueux qui défendrait des principes au réaliste qui sait tenir compte des rapports de force. Ils affirment que « la Russie ne peut pas perdre », et ajoutent que la guerre doit préparer la paix et donc une issue négociée, c’est-à-dire avec des concessions réciproques.


Le réalisme est exactement le contraire de cette attitude. La politique la plus prudente, la moins risquée est de rendre infructueux et trop coûteux le recours à la force, en particulier par une puissance nucléaire. Prétendre qu’un Etat doté d’une telle sorte d’armes ne peut pas perdre une guerre est faux. Tant les USA que l‘URSS ont prouvé le contraire. Imaginer que pour ne pas perdre une guerre de conquête les Russes préféreront le suicide collectif n’a pas de sens. Si tel était le cas, et que nos voisins en soient capables, cela arrivera tôt ou tard, car ils auraient perdu la raison. Dans un asile d’aliénés il n’y a aucune sécurité possible. Nous n’avons pas le choix, il faut croire que ce sont seulement de bons joueurs d’échecs, mais il ne sert à rien de penser qu’ils seraient des déments.


Les plus irrationnels des faux-pragmatiques prétendent que le Donbass et la Crimée sont pro-russes, ce qui sous-entend que leur annexion est légitime, et que les torts dans l’invasion de l’Ukraine sont partagés. Le paradoxe du violeur qui déclare que la minijupe est coresponsable de son crime ne les effraye pas. De plus, s’ils avaient raison, le Kremlin aurait une manière magistrale de gagner cette guerre. Il lui suffirait de s’adresser aux Nations Unies, proposer de retirer ses soldats des territoires occupés, admettre que les habitants qui ont fui, chassés par la guerre, soient autorisés à y revenir et que des référendums soient organisés selon les normes internationalement reconnues.


On doit aussi prendre en compte que les Etats-Unis ne peuvent pas accepter de perdre la guerre d’Ukraine, car cela ouvrirait immédiatement un conflit avec la Chine qui procéderait à un blocus de Taïwan. Les Américains préféreront la confrontation avec les Russes, car dans une guerre non nucléaire, ils ne sont pas certains de battre les Chinois qui les ont déjà mis en échec en Corée et au Vietnam.


La force des Ukrainiens est, dit-on, dans le fait qu’ils défendent leur patrie, Mais il est aussi vrai qu’ils ont la conviction de défendre une civilisation.


Si la Russie gagne, on attendra le prochain conflit armé. Mais si l’Ukraine récupère son sol, et que la Russie et le reste de la communauté internationale n’en tirent pas la leçon, rien ne sera réglé.


La guerre en Ukraine n’aura pas d’issue victorieuse, si elle ne débouche pas sur une renonciation solennelle, sincère et universelle à la guerre comme mode de résolution des différends.


Ceci nécessite la prise de conscience que nous sommes de facto dans la troisième guerre mondiale et que celle-ci sera la dernière. Son issue sera la destruction réciproque totale ou la proscription absolue et définitive de la guerre dans les rapports entre les États.


La promesse de Xi de reprendre Taïwan au besoin par la force, et le bras de fer engagé avec les Etats-Unis, montre que cette dernière option n’est pas le chemin que prend une grande partie de l’humanité. Ce qui se passe en Afrique où se succèdent les coups d’Etat militaires, montre aussi que la force brutale n’a pas rendu les armes. Au Moyen Orient, aussi, le feu qui couve se ravive, car il ne s’est jamais éteint.


Quand les USA abattent un ballon chinois « égaré » au-dessus de leur territoire, ils montrent à l’évidence que la politique du fait accompli conduit à la confrontation frontale.


Alors que jamais les humains n’ont eu de capacités techniques aussi sophistiquées pour bien vivre sur la Planète bleue, ils semblent préférer les utiliser pour la saccager.

On peut se demander si l’humanité n’est pas l’espèce de mammifères la plus bête du monde, et qu’il est trop tard pour sauver Sapiens.


Dans cette optique les fauteurs de guerre n’ont pas l’exclusivité de l’inconséquence. Il n’y a pas de camp du bien contre le camp du mal. Les démocraties américains sont également sur la mauvaise route. Leur obstination à confondre la liberté individuelle avec la dénaturation de l’humain est navrante. La prétention de dé-genrer l’espèce humaine et de jouer avec la génétique est un suicide collectif aussi assuré que celui de la conflagration nucléaire. Non seulement, cette lubie renforce les réactions hostiles d’une grande partie de l’humanité, la poussant à légitimer la violence, comme une réaction de défense, mais encore, et surtout, elle promet une mutation de l’espèce que le plus benêt des apprentis sorciers n’oserait pas tenter sans avoir la main qui tremble.

Les auteurs d’anticipation mettent depuis longtemps en garde contre la grande disparition de l’humanité, les uns par explosion, d’autres par implosion. Ils ne font qu’extrapoler pour le pire ce qui est en germe. C’est la loi du genre. Il n’est cependant pas interdit d’espérer que la somme de toutes les intelligences qui n’a jamais été aussi gigantesque au service des humains ouvrira une autre issue à ce court moment d’éternité qu’est leur présence sur la Terre.


Dans ce sombre avenir, c’est paradoxalement un cataclysme majeur qui porte en lui l’espérance. Devant l’ampleur du séisme en Turquie, la réaction de solidarité a été unanime. On pensera qu’il s’agit là d’un élan du cœur, à tort, car la solidarité entre les nations est la chose la plus rationnelle qui soit. Il n’est peut-être pas trop tard pour sauver Sapiens.



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