Si vous ne vous occupez pas de guerre, la guerre s’occupera de vous
- André Touboul
- 24 févr. 2023
- 5 min de lecture

Parfaitement audibles en janvier 2022, les discours de protection de l’environnement, des émissions de CO2 et de l’économie d’énergie étaient parfaitement audibles. Ils paraissent désormais surréalistes quand les bombes au bilan carbone exécrable explosent à qui mieux mieux, sans parler du gaspillage d’énergie, et de la frénésie de réarmement qui affecte une Europe qui avait tout misé sur la paix.
Le GIEC et autres scientifiques peuvent s’époumoner en avertissant du précipice vers lequel se rue l’humanité, les nations semblent déterminées à ne pas attendre cette apocalypse et préférer en accélérer la venue.
Il a suffit que l’une des grandes puissances décide de ne plus jouer le jeu de la paix avant tout, et sorte des règles de la communauté des Etats, pour que la fiction d’un droit international disparaisse comme un mirage en plein désert.
Jamais, pourtant, la nécessité d’une régulation des activités humaines sur la planète n’a été aussi évidente.
Et c’est au moment où les accords internationaux sont de l’ordre du vital que certains Etats décident de s’en affranchir.
Il est dérisoire de tenter de s’accorder sur la protection des océans, sur la qualité de l’air, sur les émissions carbone, sur la biodiversité, bref sur tout ce qui détermine à un terme de moins de moins lointain notre survie sur cette Terre, quand on prétend régler les différents à coups de canons et en agitant la menace nucléaire.
Il est temps que ce comportement irresponsable cesse. Reste à savoir comment.
Naguère, au vingtième siècle encore, on parlait de guerres mondiales, mais il s’agissait de confrontations d’empires pour le partage de la planète. Ensuite on a pu se faire assez tranquillement la guerre ici ou là, sans que cela affecte la vie de ceux qui habitent ailleurs. Il n’y a, aujourd’hui, plus d’ailleurs. Et si nous continuons sur cette voie, il n’y aura plus d’après.
Les pays qui déclarent que la guerre en Ukraine n’est pas la leur font une erreur tragique. Ils ont une excuse, celle de la peur. La menace de famine par l’arrêt des livraisons de blé, les a plongés dans l’urgence de manifester une volonté de se tenir à l’écart. Cette dépendance au commerce mondial est bien la reconnaissance que l’impact de la guerre en Europe est mondial. Mais surtout la Terre est désormais trop fragile pour supporter une guerre de grandes ampleur et intensité.
Nous avons vécu dans l’illusion, non de la paix, mais de la localité. Les conflits armés paraissaient limités à certaines régions du monde. Certaines régions pouvaient s’embraser sans conséquence majeure pour les autres.
Poutine, que l’on présente comme déraisonnable, reste néanmoins lui aussi convaincu que la guerre devrait être hors la loi. Il évite soigneusement le mot lui-même. Il fait en sorte que le conflit ne concerne pas les pays tiers du sud en négociant sur les exportations de céréales. Il insiste sur l’aspect interne au monde slave de son « opération spéciale ». Il habille d’un discours fumeux de légitimité historique son agression, et surtout il manie la mauvaise foi avec une maitrise de KGBiste en chef en prenant toujours soin de justifier ses actions par une motivation d’apparence légale. Quand il annexe des oblasts, il le fait sous couvert de référendums, certes sans valeur s’agissant de territoires occupés, mais dans le respect de la forme du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et ce n’est que pour pallier ses échecs qu’il bifurque sur le choc des civilisations.
Les Chinois n’ont pas, non plus, rompu avec la légalité internationale, ils y sont attachés, ce droit des nations ne les encombre pas étant donné que Taïwan est reconnue par tous les Etats comme faisant partie de la Chine. Mais le plus important est que par leur masse démographique, les Chinois se savent vulnérables aux dangers environnementaux.
De leur côté, les Occidentaux doivent aussi balayer devant leur porte, les USA en tête, ils ont trop souvent usé et parfois abusé de l’intervention armée. Avec les meilleures intentions du monde… enfin, pas toujours.
Quand cela se faisait sous couvert de décisions de l’ONU, c‘était un moindre mal, mais pour la seconde guerre d’Irak, son illégalité était manifeste. Ce premier accroc explique que la Russie se soit autorisée à faire de même. Mais explication n’est pas justification. On ne répare pas une infraction par une autre.
Moscou invoque l’inexécution du traité de Minsk 2, cependant l’on sait, par les confidence de son conseiller qui a inspiré le Mage du Kremlin, que ce texte avait été conçu par Poutine pour ne pas être appliqué, mais pour préparer l’invasion. Même Angela Merkel a confié que pour tous, il s’agissait de gagner du temps.
A ce jour, le Kremlin n’est pas officiellement sorti du monde du droit, il n’en respecte plus que les formes en les simulant, mais cela montre que sur le fond les Russes restent conscients du fait que le droit est une nécessité, pas une option.
Pour justifier son échec, Poutine élargit le conflit. Son ennemi a un nom, c’est l’OTAN. Qui osera à Moscou réveiller Poutine, et lui dire simplement que les Ukrainiens ne veulent pas de lui, ni de la Russie ?
En agitant l’épouvantail nucléaire, il ressemble à ces querelleurs de bistro qui demandent qu’on les retiennent ou ils font un malheur. Devant la mise en échec de ses armes, Poutine déclare que l’on a encore rien vu ; il va sans doute sauter d’encore plus haut sur le râteau ukrainien.
En attendant, les Russes rapatrient un cosmonaute américain depuis la station spatiale internationale, montrant qu’il existe encore des limites à l’hostilité affichée.
Avec bon sens, Emmanuel Macron déclare que la Russie restera toujours notre voisin, et qu’il faut préparer l’après guerre. Il n’a pas tort, mais à la condition que celui-ci soit un retour de l’état de droit entre les nations.
Il n’y a pas, aujourd’hui, de division du monde entre Etats autocrates et démocraties, mais entre responsables et irresponsables. Ces derniers sont prêts à sacrifier l’état de droit à leur quiétude en détournant les yeux de la guerre, ou en privilégiant leurs intérêts immédiats.
La République indienne est une démocratie, mais elle est irresponsable, plus avide de tirer parti d’un pétrole russe à prix cassés que de respect des lois internationales. C’est oublier que le droit international est une nécessité pour chaque Etat, mais aussi pour l’ensemble de la planète.
Ceux qui s’abritent derrière l’argument disant qu’il s’agit d’une guerre entre blancs, verront tôt ou tard, et sans doute trop tard, qu’ils sont aussi concernés, s’ils sont demain privés de la protection du droit. En Afrique les frontières héritées de la colonisation sont largement artificielles, elles n’attendent que la guerre pour évoluer.
Mais partout l’environnement sera irrémédiablement dégradé, car la guerre est sale, sale pour les humains et sale pour notre Terre aussi. Un guerre longue salira tout le monde.
Si vous ne vous occupez pas de la guerre, bientôt celle-ci s’occupera de vous.
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