Un ennui profond, pour des enjeux majeurs et des attentes immenses
- André Touboul
- 5 févr. 2022
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Les rubriques du banc d'essai des enjeux et attentes des Français en cette année électorale, où, enfin ils vont pouvoir tous s'exprimer, et non plus subir les discours de minorités vagissantes, sont nombreuses. Le niveau de vie, la dette publique, l'identité, l'insécurité, la police, la justice, la santé, la dépendance, et quelques autres thèmes les sollicitent.
Hélas, au crash-test de la présidentialité aucun des candidats potentiels ne parait obtenir la note du souhaitable. ils sont pourtant très divers et l'on peut dire légion. Eussent-ils été des centaines, le résultat eût été semblable, tant les défis à relever sont variés et contradictoires.
L’embarras du choix se mue en choix de l’embarras, plutôt que de se déterminer, on balance. Les défauts des uns et des autres prennent le pas sur leurs qualités.
Le citoyen aspire au charisme, il regrette l’homme providentiel, mais il n’a, au moment d’exercer son magistère politique, face à lui que des inconvénients. Rien de surprenant à cela, car la politique n’est jamais que l’art de se déterminer pour la moins mauvaise des options.
Les médias, faisant leur office de bateleurs de foire, exigent des prétendants qu’ils développent un programme complet et chiffré dont chacun sait que la précision est inversement proportionnelle à la probabilité d’être réalisable. Il en résulte une déconsidération de ceux qui doivent se prêter à cet exercice imposé.
On croirait avoir à choisir entre des experts-comptables, prêts à certifier un faux bilan, quand le désir est de suivre un panache blanc. On rêve d’Henri IV, de Jeanne d’Arc, de De Gaulle, mais l’on ne voit que des joueurs de flutiaux qui mènent les enfants à la rivière pour les y noyer.
A leur décharge, on doit reconnaître que les listes de demandes au Père Noël des diverses catégories sociales sont toutes aussi chimériques que contradictoires.
Impossible n’est pas français disait Napoléon Bonaparte, on dit aujourd’hui qu’il suffit d’avoir une politique volontariste. Vouloir, c'est pouvoir ? Mais la vérité est que la souveraineté d’un Etat, dans un monde de plus en plus interdépendant, étant une peau de chagrin dans tous le sens du terme, les politiciens peuvent peu. Cela est bien vrai pour la France empêtrée dans les liens de l’Union européenne qu’elle a elle-même noués, mais l'on voit aussi que la liberté revendiquée par le Royaume-Uni, qui voulait prendre la liberté du grand large par le Brexit, parait encore plus dérisoire.
Les ambitions affichées sont aussi larges que la porte est étroite. Dès lors, la réalité se venge. Quand on leur conte des fables, les citoyens sentent qu’ils ont affaire à des marchands de sable, et leur désintérêt est de plus en plus pesant.
L’abstention est fille de la lassitude et de la conviction que tout se vaut, puisque rien ne va. C’est par un ennui profond que sera désigné le prochain monarque républicain à durée déterminée. Il est vrai que le quinquennat qui s’achève a montré que le chef de l’Etat, entravé par les contraintes du dehors, est impuissant au dedans à mener seul quelque réforme que ce soit. C’est une élite entière qui est à la manœuvre, et en échec depuis un demi siècle, qu'il faudrait réformer. Or, l’on n’en change pas par un bulletin de vote.
La méritocratie à la française a tourné à la bureaucrature, elle ne se réformera qu’un renonçant à ses travers qui peuvent se résumer ainsi : Tout par l’Etat, donc tout pour l’Etat, et comme l’Etat c’est nous, tout pour nous. Aucun des candidats ne propose de mettre fin au statut de la fonction publique. Cet équivalent des privilèges de la noblesse d’Ancien Régime est la clé de toute évolution de l’élite française. Tant que la voie royale de la réussite sociale y passera par le service de l’Etat, la France ne connaîtra pas de Monde d’après. On ne peut pas dire que la chose est irréalisable, en effet, chez les agents publics (5,6 millions) les contractuels ne cessent d’augmenter et les fonctionnaires de diminuer. Cependant tant que le statut existera, les contractuels réclameront d’être traités comme des fonctionnaires. On sait aussi que le statut de la fonction publique est un exemple sclérosant pour les travailleurs du secteur productif. Sur ce point vital le silence des candidats est assourdissant.
Il est cependant erroné de penser que le verdict des urnes sera indifférent. En effet, le pire est toujours possible.
Les Français savent que le poids d’une administration pléthorique qui fait de la graisse aux mauvais endroits est la cause majeure de leur déclassement. Néanmoins, ils réclament toujours plus d’Etat, donc plus de fonctionnaires. C’est vers le père Noël dont la hotte de cadeaux sera la moins chargée qu’il conviendrait de se tourner. Il faut prendre conscience que les mesures favorisant le pouvoir d’achat seront source d’inflation et que celle-ci réduit le pouvoir d’achat, plus vite que les allocations ou les augmentations de revenus ne le confortent. Le retour de l’inflation à deux chiffres serait un bond en avant vers l’abîme où s'engloutit le niveau de vie.
La dette publique coûtera de plus en plus cher. Il faut donc privilégier les candidats frugaux, sauf à aller tout droit à la banqueroute. Ce qui mettra la France, non sous tutelle du FMI, mais de l'Allemagne. Bismarck n'a pas osé en rêver, le "quoi qu'il en coûte" de Macron l'aura fait. La formule elle-même était malvenue. Il aurait été mieux avisé de déclarer : on fera ce qu'il faut.
L’islamisme ne deviendra pas compatible avec la France par le miracle d’une élection. Mais si l’on continue dans la voie du déni de réalité, de la soumission, de la repentance, et du "pas de vague", la situation ne fera qu’empirer, et les prophètes de malheur pourront se vanter d’avoir eu raison d’annoncer la guerre civile.
L’insécurité ne cessera d’être un sentiment que si elle est considérée dans sa réalité. La limiter à la question du trafic de drogue est la garantie de la voir s’amplifier. Sans doute faut-il considérer que le communautarisme porte en lui la violence comme la nuée l'orage, et s'attaquer de front à ce fléau.
La police peut encore se désunir du peuple si l’on continue à l’affubler d’une suspicion de racisme. Certes, il y a des idiots partout, mais en faire une règle générale est la certitude de les voir proliférer.
La justice ne restaurera son autorité qu’en donnant des preuves de son impartialité, alors qu’elle ne cesse de s’arc-bouter sur son indépendance. On demande aux religions de prêter serment à la République, il faut que celui des magistrats soit explicite quant à leur engagement d'impartialité.
La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. Des choix devront être faits quant à la couverture sociale : renoncer à la gratuité universelle des bobopathies pour se concentrer sur les pathologies graves. A défaut, la survie deviendra un luxe, ou pis une loterie.
Pour la dépendance, enfin, il faudra admettre que l’essentiel est dans la chaleur humaine et que si celle-ci ne se monnaye pas, elle interdit que les pratiques capitalistes classiques de maximisation du profit y soient tolérées. Quant à étatiser les EHPAD, cela reviendrait à les bureaucratiser, ce qui ne garantirait ni leur développement suffisant, ni leur nécessaire humanité.
En considération de ces dangers majeurs, chacun exprimera son vote, malgré l’ennui profond que l’on ressent dans une campagne à l’encéphalogramme plat dont le Président sortant est le premier responsable, dès lors qu’il retarde son entrée officielle dans l’arène, laissant supposer qu’il n’a rien d’essentiel à défendre dans un second mandat.
Pour l’heure, Emmanuel Macron persiste dans sa stratégie de second tour qu'il construit face à Marine Le Pen, dont cependant les Français majoritairement ne veulent pas et qui se résume ainsi : c’est moi ou le KO. Il n’est pas certain que l’électeur se laisse enfermer dans un tel piège et lui signe un chèque en blanc. A moins que la sagesse populaire ne se réserve de l’attendre au tournant des législatives.
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