Un loup dans le brouillard
- André Touboul
- 7 janv. 2023
- 6 min de lecture

La méthode privilégiée de gouvernement sous Emmanuel Macron est d’entretenir le flou. Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup, disait Martine Aubry, la mèremptoire de Lille, avec quelque bon sens.
L’abandon du gouvernail idéologique qui faisait la séparation entre la voie de gauche et celle de droite pour retenir « ce qui marche » est la marque du macronisme. Le slogan « En marche ! » est devenu le crédo d’un parti présidentiel rassemblant des militants qui, ne sachant pas où ils vont, attendent les prises de position du Président comme le tirage du Loto. Quand, enfin, l'oracle a parlé, il revient, à ceux qui en ont été les premiers surpris, de vendre des décisions dont les aboutissants leur échappent tout autant que les tenants.
Foncer dans brouillard est devenu une stratégie, qui en fait revient à n’aller nulle part, et souvent à tourner en rond. Mais surtout, c’est devenu le moyen de gérer les citoyens dont on entretient l'incertitude sur les données factuelles qui sont censées déterminer les choix qu'on leur impose
Dans une démocratie, il est naturel et sain qu’il existe un brouhaha sur toutes les questions importantes, sujettes à polémique. Ce qui est moins légitime est que le Gouvernement, loin de s’acquitter de son devoir d’éclairer le débat en fournissant les éléments objectifs indiscutables sur lesquels chacun pourrait se déterminer en connaissance de cause, participe à la confusion générale. Tout se passe comme si la réalité n'existait pas. Un philosophe grec le prétendait, et ses disciples devaient le mener par la main, afin qu'il ne se cogne pas dans les arbres. Les faits sont ce qu'ils sont, parfois cruels, mais le pire est de les nimber de fumée, car, immanquablement, ils se vengent.
Sur le prix de l’énergie, l’exécutif communique beaucoup sur les aides, les rustines et le sparadrap, mais sur les données factuelles de l’origine de la crise, il entretien un silence assourdissant, laissant se développer toutes formes d’explications de sorte que le citoyen de bonne foi craint de devoir verser dans le complotisme et se trouve incapable de savoir quelle est la part du vrai dans ceux qui invoquent la mise en berne de nos centrales nucléaires, ceux qui incriminent le prix de marché européen lié au cours du gaz, ceux qui accusent la guerre en Ukraine, et ceux qui disent que l’Etat a intérêt à l’inflation qui remplit ses caisses, même s’il doit en lâcher un peu dans des aides ponctuelles… Quand la facture d’un boulanger est multiplié par dix, la moindre des choses est que le Président ou le Premier Ministre s’explique, ou simplement explique pourquoi. Au lieu de cela, on propose d’appeler le SAMU. Bien habile celui qui a une idée claire de l’origine du problème et donc de la pertinence des solutions.
Le plus grave est que ce comportement est en vérité une méthode.
Dans la crise sanitaire, le tâtonnement (masque ou pas, vaccin protégeant de la contagion ou non) a été justifié par les incertitudes sur l’efficacité, alors qu’il s’agissait de gérer la pénurie. Pendant la pandémie, Emmanuel Macron a beaucoup parlé, mais jamais sur les questions factuelles que se posaient les Français, laissant le champ libre aux divagations complotistes qui se sont engouffrées dans cette carence du pouvoir.
Le système de santé est malade, et chacun y va de son diagnostic. Le devoir du Président est non pas de demander des rapports et autres livres blancs qui finissent dans les fonds de tiroirs des comités Théodule, mais d’exposer aux Français la réalité de la situation de l’hôpital, de la médecine de ville, de leurs liens, de leur coût… Au lieu de quoi, on entend par bribes qu’il promet d’augmenter les aides administratives aux médecins libéraux... à leurs frais. Comme toujours, l’on est dans les solutions, sans connaître l’énoncé du problème.
Quant à l’immigration, l’on a l’impression qu’il faut arracher par lambeaux la réalité des chiffres à un pouvoir qui la considère comme du secret défense, de peur que la crudité des faits ne provoquent l’ire de la majorité silencieuse. Les Ministres, en général d'illustres inconnus, énumèrent tout ce que l’on ne peut pas faire en la matière, en particulier pour expulser les étranger délinquants. D’autres parlent de soulager les métiers en tension. Certains, sans aller jusqu’à reconnaitre que la République a perdu des territoires, reconnaissent qu’il existe un problème d’intégration au corps social français. Et quand on brandit la solution miracle de l’immigration choisie, on se garde bien de préciser les paramètres du choix : culturels, professionnels, confessionnels… Que chacun y mette ce qu’il veut. Si encore il y avait un plan caché, on serait rassuré, mais il n'y a rien que de la poudre aux yeux.
Sur la délinquance, Dupond-Moretti bidouille les statistiques pour parler d’un sentiment d’insécurité, quand d’autres parlent de guerre larvée due à un grand remplacement en marche. L’homme de la rue aurait droit à plus d’objectivité pour se faire une opinion. On ne fait que le balader d’un côté comme de l’autre, en le prenant pour ce qu'il n'est pas : un salaud ou un imbécile..
Sur l’inflation, on attend en vain l’analyse du chef de l’Etat, il serait surprenant qu’il n’en ait pas. On pourrait la contester, mais au moins l’on saurait quelles sont les bases sur lesquelles se fondent les décisions de l’exécutif. À défaut, chacun y va de son élucubration. Par son silence sur les causes de ce phénomène, il semble préférer assimiler le réveil de la vie chère à de la météo, sur laquelle on ne peut rien faire d'autre que subir. Cela rappelle le paracétamol pendant la covid.
Le climat, justement, n’est pas une problématique de court terme, ni simple. En n’en fixant pas les limites autrement que par la tarte à la crème du mixte énergétique, et sans définir la part de pollution attachée aux importations, ni la stratégie susceptible de produire des effets, autre que la vertu de l’exemple qui ne convainc personne, le Président croit se ménager des marges de manœuvre, il ne fait que priver son action de soutien populaire.
Sur la question des retraites. On nous dit que les Français sont très majoritairement contre un recul de l’âge légal de départ. Ceci serait incompréhensible, s’ils avaient conscience de ce que le nombre d’actifs pour payer les pensions diminuant, il faut soit réduire celles-ci, soit freiner ce mouvement démographique, l’augmentation des cotisations ayant une limite vite atteinte. Mais dans le débat, l’on entend dire par des personnes sérieuses comme Laurent Berger que les régimes de retraite n’ont aucun problème financier, et que l’heure est plutôt à l’inflexion vers plus de solidarité envers les oubliés ou les défavorisés du système. De l’effroyable capharnaüm qui existe dans les centaines de régimes différents du public et aussi du privé, l’on entend plus parler. Ainsi, c’est dans une brume épaisse que le Gouvernement va tenter d’imposer une réforme.
L’intelligence d’Emmanuel Macron n’est pas en cause, ce qui cloche, c’est son idée de la France. A des Gaulois râleurs, indisciplinés et qui ne comprennent rien, car souvent ils ne « sont rien », il est inutile voire contreproductif d’exposer les faits.
La raison de cet état d’esprit, qui n’est pas propre à Macron, mais à une caste dont il représente la quintessence, est que le citoyen n’est pas considéré par l’Etat comme un adulte à qui l’on peut dire la vérité. Ceux qui sont aux commandes pensent qu’ils doivent faire le bonheur des Français sans leur accord, et en fait malgré eux, car ils s’en méfient.
Cette crainte de réactions irrationnelles de la population n’engendre qu’une perte de crédibilité de la parole publique, et fait le bonheur des inventeurs de complots en tous genres, qui, eux, proposent des explications simplistes à tout. Les gouvernants mendient la confiance, mais ils ne font rien pour la mériter. En tout cas, ils ne disent pas les vérités qui, croient-ils, dérangeraient.
Les médias participent à cet embrouillage mental, et, par le fait, perdent aussi la confiance de leur public. A leur décharge, on peut dire qu’ils ont le privilège d’avoir des opinions, mais on peut leur reprocher de trop souvent les préférer aux faits.
Pour se faire réélire Emmanuel Macron n’a pas fait campagne, il n’avait rien à y dire, étant assuré d’être reconduit, car l’on ne change pas de capitaine dans la tempête. Il s’est contenté de picorer des mesures dans les programmes d’autres candidats pour rassurer l’opinion par segments, comme l’enseignent les communicants d’aujourd’hui.
Il a fait ainsi l’économie d’une réflexion globale. Mais la réalité est têtue, elle ne supporte pas qu’on la néglige. Il est urgent qu’il s’exprime pour dire, lui qui a plus d’élément d’information que quiconque, où en est la France sur toutes les grandes questions qui nous assaillent. Sans fard, sans filtre, avec objectivité. Il est cependant douteux qu’il le fasse, non par incapacité, mais de crainte de limiter sa marge d’action. De tous temps, les bureaucrates ont préféré administrer des ignorants que des citoyens informés.
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