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Un point d’histoire : la galère truque

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 18 nov. 2021
  • 3 min de lecture



La bataille de Lépante a vu, en 1571, se décider pour des siècles le sort de l'Occident face à la puissance ottomane. Le XXIème siècle a connu une seconde bataille, en 2005, moins meurtrière, mais d'une portée comparable.


Quand on parle du rejet par les Français du projet de Constitution européenne on oublie que ce qui était alors au cœur du débat ce n’était pas tant l’organisation des institutions de l’Union, sujet technique sur lequel les électeurs n’avaient pas d’éléments très clairs de décision que d’un point politique très évident, celui de l’adhésion de la Turquie.

En 2005, la question était très sérieusement sur la table.


Pour beaucoup de dirigeants européens l’affaire ne faisait pas de doute. En 1949, la Turquie est cooptée (en même temps que la Grèce) par les membres fondateurs du Conseil de l'Europe trois mois après la signature du traité de Londres. En 1959, la Turquie pose sa candidature pour devenir membre associé de la CEE. En 1963, un accord d'association est signé entre la Turquie et la CEE. En avril 1987, la Turquie demande son adhésion à l’Union européenne. En décembre 1989, la Commission européenne déclare la Turquie éligible à la candidature, mais elle diffère l'examen du dossier.Le 1erjanvier 1996, l'union douanière entre l'Union européenne et la Turquie entre en vigueur. La Turquie abolit les taxes d'importation sur les produits venant de l'Union européenne. En décembre 1999 : l'Union européenne accepte officiellement la candidature de la Turquie lors du sommet d'Helsinki et souligne la « vocation européenne » du pays, mais elle fixe à son entrée dans l'UE des conditions que la Turquie alors accepte.

Restait à convaincre les peuples dans un contexte où leur était proposée une Constitution dont un ancien Président français, Valéry Giscard d’Estaing était l’architecte.


Conscient de la méfiance des Français envers ce changement de nature que constituait l’entrée de la Turquie, notamment en raison de l’évolution de ce pays vers l’islamisme, alors qu’il était jusques-là très fermement laïc, le Président Jacques Chirac s’employa à rassurer.


En mars, 2005 il introduit une modification à la Constitution française dont l’article du Titre XV stipule désormais que « tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.»


Le référendum sur le projet de Constitution européenne prévoyant que les accords d’adhésion devait être « soumis par tous les Etats contractants à ratification, conformément à leurs règles constitutionnelles », a eu lieu en France le 29 mai 2005, soit deux mois après la révision de la Constitution française, et a été rejeté avec une majorité de 54%.


Manifestement les Français n’ont pas été dupes de la manœuvre, leur « non » à la Constitution européenne a été surtout un refus d’embarquer dans la galère turque. Comme souvent les peuples sont plus clairvoyants que leurs dirigeants. Il faut dire que Jacques Chirac avait déjà démontré sa grande habileté à jouer des réformes constitutionnelles à son profit. Les Français se souvenaient que pour les persuader de lui conférer un second mandat, et conscient qu’une durée de sept ans pouvait rebuter, il avait en 2000, introduit le quinquennat. Lionnel Jospin, son premier Ministre socialiste, s’y était rallié, sans voir le piège ; il pensait quant à lui mettre fin aux périodes de cohabitation. Les calculs de l’un et de l’autre ont été vérifiés, et l’on peut ajouter, hélas. Dans les deux cas.


La suite montra que les Français avaient raison de se montrer rméfiants. En juin 2007, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet (futur parrain d’Emmanuel Macron), auditionné par le comité Balladur, qualifiait le Titre XV de la Constitution de « verrou référendaire » et estimé qu’il devait « sauter ».


Malgré son hostilité déclarée à l’intégration de la Turquie dans l’UE, le Président Nicolas Sarkozy, soutenait les positions de son secrétaire d’État.


De la promesse de référendum obligatoire de Jacques Chirac, il ne reste aujourd’hui qu’un ersatz : le Congrès statuant à la majorité des trois cinquièmes peut, en effet, éviter d’avoir recours au référendum pour accepter une adhésion à l’Union.

Même quand elles sont inscrites dans le marbre constitutionnel, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… disait en substance, Jacques Chirac, et Molière aurait sans doute demandé à son propos : « qu’allait-I’ll faire dans cette galère ? ».


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