Un Roi sans divertissement
- André Touboul
- 23 août 2024
- 6 min de lecture

La France s’ennuie. Il faut se rendre à cette évidence, car les seuls moments pendant lesquels son cœur bat à l’unisson ce sont ceux des spectacles permanents qui lui sont offerts.
Ainsi la diversion s’installe : le sport, les commémorations, les célébrations. Et le spectaculaire contamine tout : la politique devenue un feuilleton que les médias distillent, comme ils mettent en scène les guerres à l’étranger, tels des block busters réalisés avec un luxe de moyens inouï.
Il semble que l’on ait perdu de vue que certes le divertissement est un moyen de s’extraire de la réalité quotidienne, salutaire pour l’équilibre quand il est un temps de répit, mais qu’il ne peut se substituer à la vie concrête et ses difficultés.
Dans ses Pensées, Blaise Pascal observe qu’un « roi sans divertissement est un homme plein de misère ». L’idée est reprise par Jean Giono dans un roman fameux. Le peuple est souverain, en République, il est roi. Il lui faut donc des distractions.
Mais si cela est une thérapie contre l’excès d’activité, elle n’est qu’un cache misère. De fait, ni Pascal, ni Giono ne préconisent l’étourdissement dans des spectacles continuels, ils constatent seulement que l’homme privé de dérivatif tourne mal, car seul avec lui-même, il est en mauvaise compagnie.
Le divertissement qui permet à un peuple d’oublier ses querelles, et de se rassembler sans arrières pensées est une nécessité, mais quand le spectacle prend toute la place, c’est le traiter en enfant, et l’encourager à la passivité, voire l’oisiveté que l’on dit mère de tous les vices.
Pour Delon, un hommage national ? Peste ! Encore un spectacle. La France, qui compte plus sur le tourisme que sur ses entreprises industrielles, est désormais une entreprise de divertissement, et elle n’est plus que cela. Les talents du comédien ne sont pas discutables, mais après les Jeux olympiques, et en attendant les Paralympiques, c’est à croire que les Français ne peuvent rester sans mise en scène une seul jour.
Le Président de la République, roi constitutionnel à durée déterminée, est désormais condamné au rôle d’entrepreneur de spectacle. Tel est peut-être le sort du Président dans un pays sans majorité claire. Sous la précédente République, il inaugurait les chrysanthèmes. Emmanuel Macron fêtera les médaillés olympiques pour prolonger le show.
Aujourd’hui, les Français que l’on dit divisés ne se retrouvent d’accord que pour assister à une commémoration, à des attractions, des distractions… Même le sport est une diversion. On se dit sportif de nos jours quand on regarde le match dans son canapé, ou, suprême effort, on en commente les péripéties au bistro.
C’’est la France du loisir, des passe-temps, et en fait de la diversion. Il s’agit de repousser à plus tard, le plus tard possible, le choc des réalités.
Les médias ont trouvé en Emmanuel Macron un acteur contrarié qui est leur aubaine. Mais que dire de Mélenchon et Le Pen qui chacun joue sa partition comme une commedia del arte. Avec ce théâtre digne de Guignol, on est loin de la France des grandes heures de son Histoire.
Sur l’estrade des opérations politiques, c’est à celui ou celle qui fera le plus son intéressant. Mélenchon sort de son chapeau une demande de destitution. L’homme est trop retors pour ne pas savoir que brandir cette menace la veille de l’entrevue de consultation avec le Président, c’est surtout s’assurer que Mme Castets sera récusée. Manipulée comme une marionette, elle fait désormais moins envie (ou peur) que pitié.
Marine Le Pen continue de jouer à se dédiaboliser par un respect scrupuleux, voire ostentatoire, des institutions républicaines, feignant de ne pas comprendre que c’est aujourd’hui son programme économique qui est diabolique. Ces derniers jours, les RN semblent cependant avoir changé de discours et, pour la mise en œuvre de leurs promesses délirantes, ils invoquent la nécessité d’un audit préalable… comme s’ils ignoraient quel est l’état des finances de l’Etat. On doit appeler cela un rétropédalage, mais en roue libre.
Que ce soit l’une ou l’autre qui parvienne à la présidence après Macron, ce sera un démagogue à l’Elysée. Et l’on sait que le discours de cette sorte de dirigeants, change de ton quand ils parviennent au pouvoir. Il n’est plus alors question de douceurs, mais d’obéissance.
Emmanuel Macron, qui appelle les Français à consentir à l’effort, est inaudible. On doit malheureusement admettre qu’ils préfèrent écouter les sirènes extrémistes qui leur promettent de gagner plus en travaillant moins. On connaît le sort des marins qui entendent leur chant.
Macron est sans écho, car abandonné par l’élite d’Etat qui avait fait son succès. Certes, il les a trahis en détruisant les sources de leurs réseaux, et en les désignant comme responsables réels des malheurs de la France, mais leur haine est un aveuglement.
Ces excellences qui contrôlent, outre l’Etat, les grandes entreprises et l’essentiel des médias, ne voient pas que le temps de la fuite en avant de l’assistanat, des chèques à tout va, du quoi qu’il en coûte est terminé. On les entend encore parler de « faire du social », comme à l’époque où Mitterrand, se prenant pour Léon Blum, parlait des acquis sociaux. Au fond, comme Michel Rocard, ils croient dans la baisse tendancielle de la durée du travail. Et comme l’extrême gauche, ils sont prêts à adopter l’idée du partage du travail pour lutter contre le chômage.
Il n’existe pas aujourd’hui d’élite de remplacement, la méritocratie existante n’est pas poussée dehors par une autre, elle choisit de se suicider en se résignant à la victoire du populisme. Le populisme de gauche ou de droite prendra, en effet, le pouvoir si l’élite qui en ce moment le tient dans ses mains tremblantes continue de céder à la facilité de l’abdication.
Au lieu d’appeler au sursaut national, et d’inviter chaque décideur à faire son devoir, les médias, commentateurs et metteurs en scène d’un spectacle permanent d’une démocratie de type Titanic, appellent de leurs vœux un Président qui soit un Roi du divertissement. C’est leur manière d’assurer l’audimat.
Résignation de l’élite et des médias à la décadence ou à la fatalité de la servitude ? Pour voir où cela nous mène il faut relire cette fable de La Fontaine dont tous les mots semblent avoir été écrits ce matin.
Les Grenouilles qui demandent un roi
Les Grenouilles, se lassant
De l'état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c'était un Soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui de le voir s'aventurant
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement ;
Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.
Chacun verra celui qu’il voudra dans le rôle de Jupin (Jupiter), du Roi et dans celui de la Grue. Ceux qui réclament un Premier Ministre pour le tourner en bourrique devraient songer à celui ou celle que Jupiter enverra pour leur apprendre à vivre.
PS : Il ne faut voir aucune relation avec le fait que les Anglais appellent les Français : les froggies. Encore que sous l’Ancien Régime, à la Cour, on appelait ainsi le peuple, et que parmi les exilés à Londres, pendant la Révolution, il était fréquent de demander « qu’en disent les grenouilles ? ».
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