Ursula vs Dracula
- André Touboul
- 7 août 2021
- 4 min de lecture

A en croire les dernières déclarations de la Présidente de la Commission européenne, nous allons bientôt assister à un match de Boxe : Ursula vs Dracula. L'adversaire de la poids lourd de l'Union serait le poids plume hongrois Viktor Orban, qui dans les couloirs bruxellois semble avoir mérité le surnom de Dracula, tant il y est décrit comme un boutefeu buveur de sang. Le dernier casus belli est la loi hongroise qui prohibe le prosélytisme pour les LGBT.
L’ire des fonctionnaires européens qui ne désarment pas contre le régime hongrois qu’ils assimilent à un ballet de vampires moyenâgeux, surprend, mais surtout elle pose un problème politique.
Il ne s’agit pas, comme on pourrait le craindre, du fait de la perspective d’une nouvelle sortie de l’Union d'un Etat membre après le Brexit. En effet, le risque de sécession de la Hongrie, avec un effet domino en Europe de l’Est, est très faible, car malgré les assauts violents de Bruxelles, les Hongrois restent à plus de 85% attachés à l’Union. Cette proportion d'europhiles est bien plus grande qu’en France. L’explication en est simple. Si l’Europe centrale se sent toujours européenne, ce n’est pas comme on l’entend dire de manière très réductrice et insultante à cause des subventions, celles-ci n‘entraîneraient pas l’adhésion populaire. Non, la raison est que l’on n’y confond pas l’Union avec ses préposés de Bruxelles. De fait, les Hongrois se sentent proches des Français, des Italiens, des Allemands, des Espagnols… toutefois, s’ils sont en accord avec les peuples, ils ne le sont pas avec les technocrates qui les gouvernent.
Pour s’en tenir à l’exemple de la France, il est évident, vu de l’extérieur et en particulier de l'est du continent, que la démocratie y est malade. Les médias français ne cessent de le déplorer. La conscience que le pouvoir y a été confisqué par une classe illégitime de bureaucrates, est, chez nous, très diffuse, mais elle progresse. On pouvait entendre sur France Culture, le 7 août, dans un flash d'information que deux personnalités (énarques) étaient allées à l'école de la pensée unique. Inconcevable, il y a peu cette incidente fait désormais figure d'idée reçue ; de celles que l'on est dispensé de démontrer.
Les Polonais perçoivent aussi cette évolution vers la bureaucrature de la République en France ; critiqués pour leur mise à la retraite de juges hérités de l’ère soviétique, ils peuvent observer les démêlés de nos magistrats avec leur ministre. En esprits libérés du joug d’un marxisme qui les a opprimés plus d’un demi-siècle, ils ne perdent pas de vue que l’indépendance des juges n’a de sens que pour en assurer l'impartialité. Ils en concluent que lorsque cette dernière est compromise, il faut bien remettre le système en cause, et replacer l’église au milieu du village ; ce qui, bien entendu, a un sens très particulier en Pologne.
La leçon de choses que l’on pourrait recevoir de l’Europe centrale est d’avoir réhabilité le vote démocratique dans sa légitimité et son efficacité. C’est l’Europe des peuples face à celle des élites.
Entre d'une part des technocrates qui piétinent la démocratie représentative et de l'autre des dirigeants qui restent attentifs à la volonté de leur population, l’Europe balance. Tel est le réel problème politique que les démocraties, un peu vite qualifiées d'illibérales, posent aujourd'hui.
La loi LGBT est au premier regard une atteinte à la tolérance, mais elle ouvre un débat plus profond sur la nature de la société que veulent les Européens.
Certes, il est essentiel, dans une démocratie, de ménager les sensibilités des minorités, et de les protéger. Mais cela n'autorise pas à tordre le bras de la majorité qui s’exprime dans les urnes. Les avancées sociétales, ou présentées comme telles, qui ne sont pas acceptées par la population doivent être maniées avec tact. C'est la liberté qui doit mener le peuple, pas la technocratie. Les Hongrois ont le mérite de poser la question non en termes de droits des minorités, mais de choix de société.
Loin de constituer des questions marginales, les schémas non-usuels de procréation qui préoccupent les hongrois posent des problèmes qui dépassent la tolérance qui est due aux orientations sexuelles. On ne peut nier que le modèle familial hétérosexuel soit en cause, et l’on doit comprendre que certains puissent légitimement s’en inquiéter. Contrairement à ce que pensent de pseudo-progressistes, il n’est pas acquis que ce modèle soit périmé. En tout cas, sa mise au rencart n’a fait l’objet d’aucune consultation démocratique.
La bureaucratie, les anciens satellites de l’URSS, en ont eu leur content. On peut admettre qu’ils en aient conçu une phobie. A considérer le sort de l’Union soviétique, il est évident que le salut de l’Union européenne vient plus de l’Est que du Bruxellistan où règnent les ayatollahs dispensateurs de la pensée correcte. Cette Europe technocratique rebute aujourd’hui massivement les Français, car si aucune force politique sérieuse n’appelle au Frexit, il y a unanimité sur l’échiquier politique pour réclamer une révision des pratiques actuelles de fonctionnement de l’Union.
Nos élites méritocratiques qui croient être en avance sur le peuple et lui montrer le chemin, n’envisagent pas une seconde qu’elles pourraient se fourvoyer. Un minimum de réflexion leur apprendrait que sans colonne vertébrale la société se délite. De l’ossature multimillénaire qu’est la cellule familiale, ils n’ont conservé que le « Familles, je vous hais !» d’André Gide, qui n'était pas un expert en la matière.
Sous les coups de boutoirs d’un féminisme mal compris, on a éliminé le père (cette éprouvette au sourire si doux) et l’on est en passe d’extourner la mère, dont on confiera bientôt la pénible charge d’enfanter à des machines. Ce qui nous attend n’est pas Big Brother, mais Big Father et Fat Mama. Ce couple impersonnel de machines se substituera bientôt aux parents d'antan pour dispenser une affection calibrée en fonction de nos données récoltées sur internet.
Ces errements ne sont pas dus au hasard. Ils font florès, car ils correspondent à un intérêt économique et politique. Le consommateur isolé est facilement happé par une communauté dont le marketing sait deviner les besoins et les émotions. Ainsi les commerçants pourront aisément les satisfaire, et les politiques les exploiter.
Cette stratégie mercantile explique largement la prolifération des mouvements sectaires qui isolent et parquent les individus dans des revendications catégorielles (race, religion, genre) paradoxalement motivées par un désir d'égalité. Les Hongrois ont sans doute grand tort de s'en prendre à des libertés sexuelles, ils n'en ouvrent pas moins un débat beaucoup plus large que l'on évite soigneusement en France, où l'on croit que les questions de société se règlent d'elles-mêmes et surtout sans que l'on en parle.
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