Zénon ! Cruel Zénon ! - L'immobilisme tue
- André Touboul
- 9 oct. 2021
- 2 min de lecture

Les Français veulent le changement, mais sont allergiques à toute réforme. Il faut dire que l’expérience leur a appris qu’ils sont souvent perdants et rarement gagnants. On peut comprendre cette méfiance, mais la vraie question est de savoir si l’on peut ne pas réformer en permanence. Ce serait rester en suspension dans une histoire dont le cours serait arrêté. Cette aspiration repose sur le sentiment secret que le mouvement est une illusion.
Le paradoxe de la flèche imaginé par Zénon d’Elée illustre ce goût étrange des Français pour l'immobilisme. Une flèche occupant à chaque instant un espace égal à son volume, elle ne peut se mouvoir ni dans l'espace où elle se trouve, encore moins dans celui où elle ne se trouve pas. Son mouvement est donc impossible. Elle n’atteint jamais sa cible.
Ce raisonnement serait pertinent si l’on pouvait arrêter le temps et le découper physiquement en tranches. Or, si, l’on peut isoler un morceau d’espace, on ne peut que mesurer le temps sans le capturer, ou quand on le fait, ce n’est plus du temps, à la différence de l’espace qui est mesuré de manière homogène.
Zénon que Platon décrit comme « grand et joli à regarder », aurait adoré la photographie qui fixe l’instant et l’immobilise, et aussi le cinéma qui restitue le mouvement sous forme d’effet d'optique.
La différence de nature entre temps et espace, est évidente le premier n’est pas réversible, alors que l’on peut parcourir le second en long, en large et de bas en haut.
Certes, l’instant présent de Zénon existe, mais il n‘est pas possible de l’isoler de la même façon qu’une portion d’espace. On peut conserver la trace de son passage, mais l’instantané est déjà dans le passé.
Arrêter le temps, et pour certains le remonter est un vieux rêve des humains. C’est le sens profond des traces que l’on laisse pour la mémoire, c’est aussi l’un des moteurs des recherches historiques. On voudrait aussi stabiliser le monde autour ne nous. Qu’il nous laisse le temps de souffler. Mais on ne peut rien contre la brièveté de la vie. Sans cesse, il faut s’adapter aux changements, car n’en déplaise au cruel Zénon (ainsi le qualifiait Paul Valéry dans Le cimetière marin) le mouvement n’est pas une illusion.
Il faut, sans doute, voir dans les présentations astucieuses d'un Zénon souriant de notre perplexité, un goût du paradoxe et une leçon inversée : c'est l'immobilité de l'instant qui est illusoire.
L’erreur de pensée qui nie la nécessité de s’inscrire dans le temps caractérise la démarche de ceux qui croient que l’on peut ne pas réformer. Autrement dit que l’on peut rester immobile, alors que le monde et les conditions changent.
Les retraites ne peuvent rester ce qu’elles sont, car le monde est en mouvement : l’espérance de vie, la répartition des âges, l’évolution des métiers, tout évolue.
Il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de nous, et que cette agitation est vaine, mais rester immobile est la meilleure façon d’être dépassé.
Vivre, c’est s’adapter… c’est risquer de manquer la cible, mais aussi se donner une chance de l'atteindre.
*
Comments